Il naît un peu plus d’hommes que de femmes de parts le monde. Le genre est un filtre commun à l’appréhension des peuples. Ce filtre est-il pertinent au regard des évolutions récentes ? Peut-il, va-t-il évoluer et laisser place à une analyse non genrée des caractéristiques de chacun ?
Politiquement efficace
Quel est le point commun entre les différents chefs d’Etats devenus points de référence d’exemplarité et d’efficacité, dont on a salué la gestion de crise Covid-19 ? Leur capacité à répondre de manière efficace à une crise mondiale, touchant toutes les zones de la planète, indifférente aux spécificités culturelles et locales.
Des réponses liées à une approche pragmatique, où dominent l’usage de la vérité, une parole sans faux semblant, dont l’objet n’est pas nécessairement de faire le buzz. Une dynamique caractérisée par : une prise de décision sans appel, tranchée, l’usage sans arrière-pensée de tous les outils y compris les nouvelles technologies, sans oublier une dose d’humanité. La prise en compte d’autrui et une volonté de protection générale.
Ils ont su mettre en place des campagnes adaptées aux habitus culturels et sociaux de leurs citoyens : un confinement relativement laxe en Norvège associé à des mécanismes de répression forts en cas de non-respect ; l’usage de téléphones directement pourvus par l’Etat afin de suivre les voyageurs venus de Wuhan à Taïwan ; des tests de dépistage massif en Allemagne ; et la capacité à soutenir la mise en place continuelle des mesures malgré des critiques et commentaires souvent forts.
Ces réponses venues de pays aussi différents que l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, le Danemark ou Taïwan ont un point commun : ces pays ont pu s’appuyer sur un leadership cohérent et efficace.
Un leadership dont les qualités de management, dans leur acception générale, correspondent plutôt à des attributs masculins. Force, autorité, une communication sans faux-semblants : une main qui ne semble pas trembler, qui assume et déploie. Cependant, ces leaders sont des femmes.
L’Europe ne s’y trompe pas
Pour la première fois, deux femmes sont désormais réunies au sommet des instances européennes et dirigent ensemble la destinée économique de l’Europe. Ursula Von Der Leyen, à la tête de la Commission de l’Union Européenne, et Christine Lagarde à la tête de la Banque Centrale Européenne.
Une mixité rare aux postes de direction des instances européennes, depuis la présidence historique de Simone Veil au parlement européen de 1979 à 1982, première femme à occuper ce rôle, malgré son inscription comme valeur fondamentale dans les statuts depuis 1957 à l’article 2 du traité de l’Union Européenne.
Ces nominations sont essentielles dans le processus d’évolution des mentalités et marquent la reconnaissance des enjeux de genre, portés depuis plus d’un siècle.
Economiquement différencié
Quel est le point commun entre toutes les entreprises du CAC 40 ?
Il n’est pas nécessaire, pour les définir, d’utiliser l’écriture inclusive.
Lorsque le média Novéthic titre : « BNP ParisBas, seule banque à mettre la RSE à la tribune de son Assemblée générale », il met en avant un élément de la stratégie de gouvernance de l’entreprise. Fait surprenant pour l’un des rares groupes du CAC40 à donner la parole à une femme durant son Assemblée Générale (dans le modèle huis-clos de 2020), l’accent de la couverture n’est pas mis sur le genre mais bien sur le contenu, célébrant la durée de l’intervention de Laurence P., égale à celle dédiée aux résultats financiers. Il n’y est absolument pas fait état de mixité, plutôt inhabituelle dans les groupes du CAC.
Car le CAC est encore et toujours masculin. Si l’on devait déplorer que la seule femme à la tête d’un groupe du CAC 40 ait été récemment remerciée, le ferait-on au titre de son genre ou au regard de ses qualités de leadership ? La raison invoquée, la question du genre, doit-elle primer sur les compétences et les qualités intrinsèques exigées pour ce type de poste ?
Si, au sein de l’hypothèse économique classique, la répartition des postes se fait naturellement au mérite, il semble que cette analyse soit inadéquate ici. La quasi absence de femmes aux postes de direction indiquerait une incapacité physiologique, essentielle à la condition féminine, au leadership.
Au-delà de l’évidente inanité de cette assertion, la réalité économique, aujourd’hui en France est indéniable, notamment au regard des évolutions hors de nos frontières.
Depuis peu on note néanmoins une augmentation significative de la proportion des femmes au sein des fonctions dirigeantes, et notamment auprès des Comités exécutifs et des Comités de direction. Ainsi 10 entreprises du SBF 120 comptent aujourd’hui plus de 35% de femmes siégeant au sein de ces instances et 6 d’entre-elles voient la proportion dépasser 40%. A une nuance près, les Comités exécutifs n’intègrent pas toujours les mêmes fonctions et ces chiffres reflètent une situation à périmètre, qualitativement et quantitativement, variable.
Source l’Express fin septembre 2019
Un signal politique
La loi Copé-Zimmermann n°2011-103 du 27 janvier 2011, qui impose 40% de femmes parmi les membres du Conseil d’administration, est probablement une date charnière dans l’évolution des analyses genrées.
Au-delà du caractère coercitif et obligatoire du quota, c’est bien l’impact économique sur les performances des entreprises et notamment les gains induits par l’introduction d’une mixité élargie qui seront les meilleurs vecteurs de l’évolution des mentalités.
En effet, dans ses travaux en 1977 la sociologue Rosabeth Moss Kanter, professeur à Harvard, met en lumière une règle empirique concernant la répartition des groupes au sein des sociétés : « Il est nécessaire à un groupe minoritaire de passer la barre de 35% des effectifs pour influencer le mode de fonctionnement et de performance de l’ensemble.»
Quelle application dans l’écosystème économique ? Michel Ferrary a repris cette théorie et l’a appliqué à ses propres travaux. Ses travaux semblent indiquer des gains économiques non négligeables corollaires au développement d’équipes dirigeantes plus équilibrées en termes de genre.
Le retour de la mixité
Les travaux de Michel Ferrary, formalisés avec l’étude Skema, concluent à l’influence positive de la mixité des instances dirigeantes de l’entreprise. La mixité est un critère de performance y compris au niveau de la profitabilité d’une entreprise.
Son champ d’observation porte sur la période 2012 à 2019. Il décrit l’évolution des cours de bourse d’un panier d’entreprises choisies en fonction de l’équilibre homme-femme. Dans cette étude il a choisi de prendre en compte l’évolution du cours de bourse au regard de la mixité des prises de décisions. La composition des entreprises retenues comporte impérativement un pourcentage de plus de 35% de femmes au sein des équipes de direction.
Il valide l’hypothèse selon laquelle en dessous de cette proportion les femmes dirigeantes constituent un groupe minoritaire et restent marginalisées. Lorsque que ce seuil est dépassé, leur comportement change, elles osent alors peser sur les organisations et adopter des comportements d’acteur.
A regarder plus en détail les résultats en bourse de ces entreprises, il apparaît que ceux-ci sont supérieurs à l’échantillon composé par les valeurs phares de la Bourse de Paris, le CAC40.
Il a composé deux indices : le Femina index 15 et le Femina Index 10.
Entre 2009 et 2019 le portefeuille reproduisant l’indice CAC40 a gagné 43% de sa valeur, alors que dans le même temps celui composé des 10 entreprises les plus féminisées a augmenté de près de 300%.
Il est indéniable que les entreprises composant l’indice Femina Index 15 et le Femina Index 10 obtiennent de meilleurs résultats que celles du CAC40.
Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises
Il convient de rappeler une fois encore qu’une population où les genres s’équilibrent à 50/50 ne saurait être réellement représentée et guidée par un sous-ensemble composé exclusivement d’un seul genre, quel qu’il soit. On ne peut qu’y perdre en qualité, diversité et efficacité.
Un monde « univox » est une menace non une opportunité.
Patricia Capelle
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