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Le travail, peines et joies humaines – Part 2

Débats et échanges autour du thème : « Le travail, peines et joies humaines » avec la contribution d’ Emmanuel Dockes, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre et animateur Precis Dalloz, de Xavier Lagarde, professeur de droit à avocat au barreau de Paris et le docteur Patrick Légeron, psychiatre et fondateur du Cabinet Stimulus, organisme spécialisé dans le comportement des travailleurs et des fournisseurs de travail. Débat animé par Michel Rouger, président de l’Institut Présaje.

Le précédent débat : « Travail, peines et joies humaines », s’est terminé sur des mots qui sont importants en ce qu’ils sont très très difficiles à définir par leurs subjectivités, par la décence des conditions dans lesquelles les gens vont travailler. Cette première partie de débat fait penser à une des évolutions des productions du monde industriel, qui au début fabriquait un produit standard, à la chaîne et qui petit à petit à évoluer vers des produits customisés.

La souffrance au travail, un nouveau particularisme à la Française

 

Patrick Legeron : Lorsqu’on aborde la problématique du travail et des individus, parce qu’il ne faut pas oublier que le travail est peut être un concept un peu virtuel ; que les individus en forment la cohorte des personnes qui sont plongés dans cet univers, on parle alors d’une une évolution considérable du monde du travail.

Aujourd’hui, dans le monde occidental, le travail ne ressemble plus à quelques exceptions près à ce qui était écrit par Emile Zola dans Germinal

Nous avons des environnements de travail qui donnent toutes les apparences du bien être : des moquettes, de la climatisation (enfin presque partout), des belles plantes vertes, des restaurants d’entreprise, et ce n’est plus les hauts fourneaux, et même dans les actuels hauts fourneaux ou usines automobiles, nous voyons des robots qui remplacent les êtres humains qui sont comme des « martiens » dans des salles climatises etc …

Donc il y a eut une grande évolution. Cette évolution a crée l’illusion, que la pénibilité au travail allait disparaître. Mais une autre pénibilité est apparue qui est beaucoup plus psychologique voir même émotionnelle. Et le deuxième changement, c’est que si le monde du travail ne ressemble plus à celui du début du XXème siècle, les individus aussi ne ressemblent plus à ceux du début du XXème siècle. La psychologie de nos contemporains est complètement différente.

Pendant longtemps, la souffrance, la frustration, les relations violentes entre individus faisaient partie de la vie et on ne posait pas la question, quand on était « insulté » par son patron d’être harcelé. On pensait qu’une journée de travail vous épuisait et que c’était « normal ». Mais maintenant, les gens revendique, non pas le droit au bonheur – un peu compliqué – mais en tout cas au bien être et au droit à ne pas souffrir. Ce qui explique toute la médiatisation des notions de stress et souffrance au travail, de risques psychosociaux, de suicide dans le cadre du travail etc etc … Certains s’en plaignent, et il faut reconnaitre qu’un certain nombre d’entreprises n’ont pas compris cette profonde mutation de l’humain qui ne tolère plus tout cela. On peut faire un parallélisme avec la douleur en médecine. Où pendant des siècles, des millénaires des êtres humains souffraient : les femmes en accouchant notamment et personne trouvait cela anormal d’hurler de douleurs en mettant un enfant au monde. Plus aucune femme aujourd’hui ne l’accepterait. Et penser de nos jours que les gens sont fragiles et qui ne supportent plus rien au travail s’est à peu près une attitude de médecin du Moyen-âge qui ne comprendrait pas que quand on enlève une dent : on a mal.

Ceci étant dit, la France a des spécificités extrêmement fortes. Dans toutes les enquêtes européennes qui sont menées par le centre de l’étude de l’emploi ou les grands organismes européens (Eurostat et autres) on s’aperçoit que les relations des Français avec leur travail est très spécifique. Les Français attendent énormément de leur travail.

Quand on demande à des allemands, des hollandais, des britanniques : qu’est ce que vous attendez du travail ?, leur réponse est relativement simple : de quoi gagner ma vie, de quoi vivre et de quoi m’organiser. Des réponses plutôt « matérielles ». En France, les attentes sont plus sur le « bien être » : s’épanouir, se réaliser, nouer des relations avec les autres. Ces attentes sont extrêmement fortes. Et évidement les déceptions sont aussi de tailles. Et c’est aussi une des explications du grand « succès » de cette notion de souffrance au travail, qui est extrêmement française.

Émergence de l’individualisation au travail et processus de contrôle

 

Emmanuel Dockes : L’idée que la souffrance morale au travail soit un thème récent et en plein développement, semble incontestable et semble une évolution très importante en droit ou en dehors du droit. Il important de voir qu’il y a eut aussi l’individualisation très forte de la gestion du personnel. Nous avons eut une montée du contrôle de chaque individu devant être pris en tant qu’être complet, productif, contrôlé (notamment par l’arrivée de méthodes de ranking,  … ). On a demandé un contrôle totalisant sur la personne ; et ça, c’est une source de souffrance assez nouvelle.

Autant quand vous aviez une usine, avec un travail collectif posté et ordonné, avec un « garde fou » qui demandait de marcher au même pas, vous aviez là une véritable souffrance des « corps », mais de souffrance « morale » : non, puisque finalement il n’y avait pas de contrôle total de la personne.On contrôlait les corps, dans leur action minuté par rapport à la machine.

Aujourd’hui il s’agit de vérifier : la motivation, le sourire, l’efficacité, la sympathie, le rapport client, … et à ce moment, là vous êtes pris dans un ensemble de chiffres tels que c’est évidement très anxiogène.

Le travail reste un lieu de contraintes

 

Xavier Lagarde : N’y a-t-il pas une forme d’infantilisme à vouloir absolument que le lieu de travail soit un lieu d’épanouissement ? Malgré tout quand l’individu commence son activité professionnelle, au fond, quand il entre en société, il y a quand même ces moments ou il va se coller à un univers qui est plus celui de l’univers affectif – que l’on peut supposer normal – dans lequel il a en évolué – le petit cocon – là il en sort et il va falloir se confronter à une réalité dans laquelle il y aura des conflits, il y aura des difficultés et cette espèce d’exigence de retrouver dans le travail, un espèce de cocon et un confort émotionnel qui était celui que l’on pouvait avoir chez soi, me parait un peu inquiétant.

Patrick Legeron : Nous sommes sur une mauvaise pente. C’est-à-dire que la problématique du « travail » n’a pas été suffisamment abordée en tenant compte des aspirations des individus, de ce qu’est un individu au travail, de comment il fonctionne psychologiquement et émotionnellement, parce qu’il n’y a pas que les contraintes morales et les contraintes émotionnelles extrêmement fortes qui opèrent.

Concernant les contraintes émotionnelles, il faut savoir qu’il y a des personnes :

  • qui sont dans la peur au ventre,
  • qui sont dans une émotion d’inquiétude en permanence,
  • y a des gens qui sont dans de la frustration du mécontentement, de la révolte intérieure parce qu’il trouve que les choses ne sont pas « justes », ne sont pas acceptable etc …

Mais la problématique n’est pas de transformer le monde du travail en monde des bisounours ! Ce n’est pas cela ! Le travail, tout le monde le comprend et en convient, est un lieu de contraintes.

« Contrainte » et la traduction du mot anglais « Stress ». Si on peut traduire le mot « Stress » qui est un mot de langue anglaise et sa formulation la plus proche dans notre langue est « contrainte ». Ces contraintes existent et c’est normal. Mais la problématique est que ces « contraintes » ont pris de telles intensités, à travers la perte de contrôle sur ses activités, d’isolement des individus, de perte du sens à ce que l’on fait. C’est-à-dire que les choses que l’on fait non plus de sens.

A travers le fait que les relations humaines sont devenues au minimum des relations conflictuelles ou de compétitions, les individus sont organisés presque les uns contres les autres. La dilution, comme disent les partenaires sociaux, à juste titre, du « collectif au travail » qui était un des grands moyens de protéger les individus de la pénibilité, à travers tout cela, on voit se dessiner progressivement des formes de travail, qui au niveau de l’individu sont « délétères et dangereux » !

Le travail comme facteur de risque pour la santé ?

 

Patrick Legeron : Le problème de la santé au travail est réel et l’Organisation mondiale de la Santé: OMS, le souligne avec le bureau international du travail, ces nouvelles formes de travail représentent des dangers pour la santé.

Nous voyons apparaitre :

  • des dépressions,
  • des burn-out,
  • des suicides,
  • des maladies cardiovasculaires.

Nous savons maintenant – appuyer par les grandes études de cardiologies – que cela a un impact. C’est-à-dire que l’on pensait que le travail, étant débarrassé des contraintes physiques ou environnementales (genre amiantes ou radiations par exemple, qui sont relativement bien contrôlées dans l’environnement travail), n’était plus un endroit mettant la santé en danger.

Selon le rapport de l’agence européenne « santé sécurité au travail », tous les voyants sont passés au « rouge ». C’est-à-dire que nous avons une montée des facteurs de risques psychosociaux et de stress parce que on demande au gens d’avoir des objectifs de plus en plus élevés à atteindre, on diminue leur marge de manœuvre, on augmente le rythme des changements – qui est un des grands facteurs de stress – macro (restructuration …) et micro (changement de logiciel d’ordinateur par exemple). Les relations humaines sont de plus en plus individuelles, etc … Quand on prend, ne serait ce que ces 4 facteurs, en 5 ou 6 ans, on s’aperçoit que ces facteurs montent !

Nous sommes en train de nous orienter dans un environnement de travail qui met à mal le psychisme humain et plus globalement sa santé !

C’est relativement inquiétant. C’est ce que les gens dénoncent.

Aujourd’hui, ils dénoncent la manière dont on leur demande de réaliser leur travail mais ne dénonce pas le travail.

Je n’ai jamais entendu une infirmière dire : « je n’aime pas mon travail d’infirmière », personne ne m’a jamais dis « je n’aime pas mon métier » – ou alors ceux qui sont mal orientés – mais ils me disent : «  je n’accepte pas la manière dont on me demande d’exécuter mon travail ». Par exemple pour cette infirmière : « Mon métier est de distribuer des médicaments, de relever des tensions etc … mais c’est aussi d’avoir trois minutes pour prendre la main d’une personne âgée qui pleure parce qu’elle a mal ; je ne peux plus faire cela car ce n’est pas coté dans les objectifs et çà c’était mon métier ».

C’est quelque chose qui émotionnellement – je reviens sur les contraintes émotionnelles – supprime des choses qui donnaient du sens au travail, qui donnait de la fierté au travail.

Bilan des 2 débats

 

Michel Rouger : A la fin de chaque débat, nous avons su faire émerger un véritable sens, le premier se fut celui d’une recherche de décence du travail sous différentes formes, et le second c’est la confirmation qu’il y a un « amour du travail » de la part de ceux qui s’y prête avec la frustration, qui est apparue dans le débat, de la capacité de plus en plus absente, de continuer à pratique cette forme d’amour du travail.

La suite dans nos prochains débats « Échanges Prémices »


Éditions Prémices

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