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BITCOIN : MONEY, MONEY, MONEY …

BITCOIN : MONEY, MONEY, MONEY …

Tribune de Philippe BRODA | Blog T’es pas sérieux !


Entouré d’un halo de mystère, le bitcoin a réussi à forcer son chemin au-delà des pages économiques pour devenir un véritable sujet de société. Dans ce monde où, comme a chanté le poète, « l’argent, l’argent, tout s’achète et tout se vend », cet engouement pour une crypto-monnaie est l’occasion de se souvenir de quelques fondamentaux relatifs à toute forme monétaire.

En un sens, l’irruption du bitcoin sur le devant de la scène n’est que justice. En effet, même si les économistes ont tendance à croire qu’ils disposent de prérogative en la matière, la question de la monnaie revêt avant tout une dimension sociale. En effet, sans un consensus, une acceptation de la part de la collectivité, aucune monnaie ne pourrait subsister. Ainsi, le cauri, qui est une variété de coquillages, a servi de moyen de paiement dans les sociétés commerçantes de la zone indo-pacifique pendant des siècles. Les cigarettes ont régulièrement joué un rôle de monnaie dans les camps de prisonniers alors que nos sociétés ont longtemps accordé leur préférence aux métaux précieux – et il serait possible de multiplier les exemples à l’envi. L’Etat nation qui a émergé du Moyen Age s’est arrogé non seulement le monopole de la violence légitime (police, justice, armée) mais également celui de l’émission monétaire, par contraste avec la situation antérieure où les seigneurs pouvaient librement battre monnaie sur leur territoire. C’est la représentation nationale, éventuellement communautaire pour les pays de la zone euro, qui gère les problèmes monétaires au nom de la collectivité.

Ce privilège implique une responsabilité et des comptes à rendre. Quand un pays connaît des désordres monétaires, des troubles politiques se produisent presque inévitablement. L’hyperinflation allemande de l’entre-deux guerres, avec Hitler qui fut porté au pouvoir par les urnes, est un cas d’école à ce propos. C’est ce rôle de garant du bon fonctionnement du système monétaire qui explique la sévérité des sanctions menaçant de frapper les faux-monnayeurs. En France, la peine qu’ils encourent est de 30 ans tandis que les actes de torture et barbarie ne peuvent pas coûter plus de 15 ans de réclusion. La confiance est d’autant plus cruciale que la monnaie est désormais détachée de toute référence à une marchandise particulière. Désormais, elle circule principalement par le biais de jeux d’écritures supervisés par des banques centrales. La part des pièces et billets est infime et leur valeur repose aussi sur des croyances. Pour s’en convaincre, il suffit de se livrer à une expérience : tendre des billets de Monopoly à un restaurateur au moment où il présente l’addition. Le sourire est rarement au rendez-vous. Ce n’est peut-être que du papier avec des chiffres mais c’est la même chose avec des euros, non ?

Les critiques adressées à la monnaie sont d’ordres multiples. Selon un point de vue radical, la monnaie est nuisible par nature. Elle entérine, voire aggrave, les inégalités qui se créent souvent entre êtres humains. La relation que l’anarchiste américain David Graeber établit entre les rapports de domination, la dette et la monnaie ne permet de percevoir cette dernière que de manière négative. Ce triptyque la condamne définitivement. D’autres approches, plus modérées, lui concèdent des vertus. La monnaie est un intermédiaire des échanges bien commode dont le pouvoir libératoire est immédiat. Grâce à un paiement monétaire, l’individu s’affranchit de ses dettes. Dans ces conditions, le blâme porte sur le fait que les banques centrales n’agissent pas au mieux des intérêts de la collectivité. Pour le dire autrement, elles cherchent davantage à sauvegarder des intérêts privés, des acteurs nantis, cela au détriment de la société dans son ensemble. Leur argumentation s’appuie notamment sur la façon dont la crise grecque a été gérée par les autorités monétaires.

Nous voici arrivés au bitcoin qui entre dans la catégorie des crypto-monnaies, c’est-à-dire des monnaies non régulées par une banque centrale, circulant sur un réseau informatique décentralisé, de pair à pair. Le bitcoin offre donc aux agents économiques la possibilité d’effectuer des transactions échappant à tout contrôle. Ceci ne signifie pas pour autant que les organisations criminelles se précipitent sur lui. La transparence qui permet de suivre les flux et de surveiller sa conversion en monnaie réelle peut inciter à la prudence. En fait, le bitcoin recrute essentiellement ses effectifs dans trois groupes distincts, les antisystèmes compulsifs, les individualistes sans limite et les spéculateurs par l’odeur alléchés. Il y a quelque chose de profondément touchant à voir ces populations hétéroclites se renforcer mutuellement en prenant part au même projet.

Les antisystèmes compulsifs évoquent les acheteurs de Mac il y a une vingtaine d’années. Ces Mac-isards prétendaient lutter contre le capitalisme américain, symbolisé en l’espèce par les ordinateurs PC, en se jetant dans les bras grands ouverts de l’entreprise Apple. Tout le talent de cette dernière est d’avoir réussi à instiller un tel sentiment à ses consommateurs. Il est pourtant difficile d’imaginer une entreprise tirant plus sur les grosses ficelles du capitalisme – marketing, obsolescence programmée – qu’Apple. De leur côté, les individualistes sans limite sont attirés par les échanges de pair à pair, semblant ignorer la dimension collective de la monnaie et le contrôle nécessaire que cela implique. Les spéculateurs par l’odeur alléchés, enfin, se divisent entre ceux qui possèdent un certain flair et les moutons, spéculateurs à la petite semaine. Le cours du bitcoin a certes quelque peu dévissé en décembre mais il était tout de même passé approximativement de 1 000 euros à 20 000 euros en quelques mois.

Avant d’exploser pour de bon un jour, la bulle crève au moins les yeux aujourd’hui. Ceci explique l’entrée dans la danse tardive des spéculateurs à la petite semaine, pigeons en devenir. Qu’ils y laissent des plumes est regrettable juste pour eux. En revanche, si des acteurs de la finance traditionnelle, de gros fonds d’investissement, achètent massivement des bitcoins, tout le système monétaire sera affecté lorsque la bulle s’effondrera. Même si cela ne se voit pas toujours, la mission des banques centrales est de protéger les intérêts de la collectivité. Mettre en place des mesures de régulation afin d’éviter une diffusion au système monétaire s’impose. Attention donc à ceux que l’on peut appeler bitcoinistes à moins de procéder par analogie avec les Mac-isards …

 

Philippe BRODA
Blog T’es pas sérieux !

Conseils de lecture :

Graeber David, Dette : 5000 ans d’histoire, Paris, Babel, 2016.
Prypto, Bitcoin pour les Nuls, Paris, First, 2017.

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