Au bout d’un an à la tête de la FIFA, Gianni Infantino a réussi à changer le format du fleuron de cette institution : la Coupe du Monde. Le passage de 32 à 48 est acté en janvier 2017 par le conseil de la FIFA pour la Coupe du Monde 2026, organisée par le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.
Si plusieurs raisons ont été avancées et notamment la volonté d’ouverture aux continents sous-représentés dans la compétition, peu d’entre elles ont convaincu le monde du football, et plus largement celui du sport. En effet, la FIFA avait trouvé une bonne formule, entre intérêts du jeu et de la compétition et nombre de pays engagés, offrant certes des matchs de qualité inégale et pas forcément spectaculaires mais avec un intérêt réel pour les nations participantes, les spectateurs et les téléspectateurs.
La formule retenue proposerait 80 matchs à jouer en 32 jours dont la moitié n’auraient aucun intérêt en termes de compétition. Au premier tour, les équipes s’affrontent en 16 groupes de 3 équipes ; les deux premiers se qualifient alors que les troisièmes quittent la compétition. Démarrent alors les 16èmes de finale pour des éliminations directes. En résumé, une victoire pour se qualifier en poule devrait suffire puis on rentre dans le rythme des éliminations directes. Ou alors bien plus complexe par le jeu des calculs sportifs pouvant devenir une vraie usine à gaz ? Bref, un concept à affiner pour garantir le « Fair-Play »et la beauté du jeu.
Une décision déjà décriée et pas uniquement pour des aspects sportifs
Certes l’approche des élections en juin 2019 pour la présidence de la FIFA suffit à elle seule à justifier du souhait d’un passage précipité à 48. Cela offrirait une importante réserve de voies pour Gianni Infantino, lui dont le bilan du premier mandat est déjà très critiqué. En effet, un quart des affiliés de la FIFA pourrait participer à la Coupe du Monde.
L’enjeu sportif n’est guère plus valorisé. La Coupe du Monde réputée pour être une « compétition élitiste et d’excellence », en ressortira-t-elle vraiment grandie ? Certes les nations comme la France, l’Angleterre, le Japon, l’Argentine ou le Brésil devraient se qualifier plus facilement avec l’augmentation du nombre de pays participants. Les phases de qualification auraient-elles alors le même attrait en sachant cela ? Surtout au vu de la concurrence du « football des clubs » qui porte plus de prestige et qui domine aujourd’hui autant dans l’intérêt sportif que celui économique, notamment en Europe.
De « petites » nations devraient pouvoir émerger pour challenger les nations-phares lors du premier tour et peut-être créer l’exploit. Pour cela, il faut développer la performance sportive de son équipe nationale, de ses joueurs mais aussi de ses clubs et championnats. L’exemple de la Chine, participant à la Coupe du Monde 2002 et plus rien depuis, tend à infirmer cet argument. D’autant plus quand l’on connaît la capacité de ce pays à investir dans les performances sportives lorsqu’il y a des forts enjeux pour eux comme lors des Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Car participer à une Coupe du Monde n’est pas anodin, cela demande pour chaque pays participant un investissement important : beaucoup de préparation, de mobilisation, de temps et d’argent. Pas mal d’efforts donc pour un retour sur investissement incertain.
Quant à l’organisation en elle-même, elle devient également plus complexe et plus onéreuse. Quel pays aura la capacité d’organiser ce genre d’événements ? On ne parle pas uniquement des infrastructures sportives avec les stades et les camps d’entraînement mais également des réseaux de transport, des hôtels ou des infrastructures touristiques. Les difficultés rencontrées par les pays organisateurs sont nombreuses entre la tenue des délais et des budgets avant le déroulement de l’événement et la rentabilisation des aménagements effectués après l’événement.
L’attribution d’une Coupe du Monde relève d’un vrai projet sportif et économique, voire national dans lequel tout un pays est impliqué. La norme va-t-elle devenir la co-organisation pour répondre aux nouvelles exigences d’une coupe du monde à 48 ? Ou plus simplement cette organisation ne sera plus que réservée à des « grandes » nations du football ?
Alors pourquoi accélérer la mise en place de ce nouveau format déjà si critiqué dès le Qatar ?
Au-delà du simple effet d’annonce de Gianni Infantino lors de la conférence de Kuala Lumpur en octobre 2018 qui évoque la faisabilité dès le Qatar, quels en seraient les avantages ?
Avec un peu plus de 2,3 millions d’habitants et environ 11 500Km², le Qatar prévoit dans son projet initial de démonter certains stades dont il n’aurait plus l’utilité. Il n’est donc pas envisageable d’en construire d’autres sur le sol qatari et si l’on rajoute un bilan pré-mondial déjà mitigé, entaché par des histoires de corruption pour l’obtention de l’organisation de la Coupe du Monde et par des problèmes de droit de l’homme autour de la construction des stades, le Qatar n’apparaît pas en position de force ni pour porter ce projet, ni toutefois pour le refuser. Lui faire porter la responsabilité de ce passage à 48 avec autant d’enjeux et si peu de préparation ne va-t-il pas lui porter encore plus préjudice ?
La FIFA annonce cependant des discussions avec les pays alentours comme Bahreïn ou Oman, parmi les solutions pour réussir ce pari. Et Gianni Infantino veut porter un message de réconciliation via le football dans cette région du monde, enclin à des tensions géopolitiques.
Les Jeux Olympiques d’Hiver de PyeongChang en 2016 ont réussi à réunir les 2 Corées dans de mêmes équipes, sur un même terrain, sous un même drapeau. Alors pourquoi pas imaginer le football comme pacificateur ?
L’élargissement à 48 pays pourrait également permettre de redéfinir le centre de gravité du monde du football. Si l’Europe et l’Amérique du Sud ont historiquement la part belle en termes de représentation dans cette compétition, la montée en puissance des pays africains et du Moyen-Orient, ou encore celle des championnats Nord Américain (MLS), Japonais (la J1 League) ou Indien (Indian Super League) doivent donner à réfléchir à un nouvel équilibre dans l’ordre du football mondial. Et à accélérer ce mouvement.
L’augmentation plus importante du nombre de places pour l’Asie et l’Afrique est une reconnaissance de cette émergence. Si le continent africain réclame un rééquilibrage des nations représentées dans le Mondial depuis des années, c’est chose faite. Les nations africaines pourront bénéficier d’une qualification plus ouverte notamment pour des pays qui aujourd’hui ne peuvent pas raisonnablement penser se qualifier. Les attentes des retombées financières sont en revanche plus aléatoires à estimer. Il faudra s’assurer que les recettes de la coupe du monde permettent à tout le monde de toucher des sommes équivalentes à ce qui était distribué dans les Coupes du Monde antérieures pour que cela reste profitable pour les nations participantes.
Passer à 48 nations lors de la Coupe du Monde au Qatar pourrait être envisageable et on y trouverait même des avantages pour appuyer cette décision. Mais se laisser le temps de la réflexion sur la meilleure façon de servir le beau jeu de la phase des qualifications à la Coupe du Monde, sur la notion de rééquilibrage des représentations par continent lors de cette compétition, peut apporter des idées plus efficaces que de se précipiter dans un nouveau format qui fragiliserait l’institution et son président.
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