Et si le télétravail était en réalité la plus clivante des approches du travail salarié.
Au commencement, il y a eu un vent de panique, puis une nécessité, plutôt bien accueillie par ces salariés entassés dans des Open-Space ou des bureaux en mode Flex-Office, dont les fonctions pouvaient être assurées à distance. Des salariés heureux d’être de retour chez eux afin d’échapper aux conditions de travail qu’ils estiment en partie dégradées.
Contraintes et vicissitudes
Rare sont ceux qui exultent de joie face à leurs conditions de vie au bureau. Plus que jamais ce lieu focalise le mécontentement à divers titres. Une nouvelle vague de contestation émerge, personne n’est satisfait. La réalité est variée, mais le constat est le même entre ceux qui ont un bureau seul, ceux qui partagent leur espace de travail à plusieurs sur des surfaces mal adaptées, mal insonorisées, ceux qui n’ont plus de bureau et rentrent dans leur lieu de travail comme on part à la chasse, premier arrivé, premier servi, et ceux qui s’assoient où ils peuvent si d’aventure il reste encore un coin pour s’asseoir.
La réalité du travail en présentiel est un mix d’éléments positifs et négatifs que le salarié, accepte difficilement.
Aux règles claires des années 80-90 a succédé une évolution constante entrainant mécontentement et frustrations. Signe de pouvoir dans l’entreprise, l’espace personnel de travail n’obéit plus à aucune règle stable. Englué dans les théories de managements, les recherches d’économies et les modes du moment, personne ne peut aujourd’hui prétendre proposer aux salariés des conditions de travail optimales.
L’avant-Covid a été marqué par l’avènement du Flex-Office, le bureau absent. De nombreuses grandes sociétés se sont lancées avec enthousiasme dans cette quête du lieu, énorme bocal découpé en tranches ponctué de mobiliers onéreux et peu pratiques devant faire oublier la disparition programmée du poste de travail.
En guise de consolation les adeptes du téléphone ont eu la joie de trouver à leur disposition les bonnes vieilles cabines téléphoniques. Disparues des rues, elles ont intégré les sièges de certaines compagnies afin d’assurer la confidentialité des échanges.
Au-delà de ces aspects pratiques souvent déroutants, les salariés ont dû accepter peu à peu l’impossibilité de personnaliser leur espace de travail. Une quasi-interdiction de donner la touche personnelle permettant de signifier sa place aux yeux de tous. Une appropriation de l’espace peu à peu interdite. Exit la plante, la photo, le crayon, le carnet. Exit le confort des dossiers à porter de main. La numérisation et la présentation du tout numérique comme bon pour la planète a vidé l’espace de travail de tout élément personnel récurent. On ne retrouve ni sa place, ni ses dossiers, on se transporte.
Réalité distanciée, une intrusion réelle
Le Covid a tout changé. Le télétravail, une exception en France, est devenu une nécessité impérieuse. Le confinement a imposé ses règles : plus de déplacement, plus de contact, plus de bureau.
Le tout présentiel a momentanément laissé place au tout distanciel. La vision initiale de cette nouvelle situation pouvait sembler assez positive. Comme un signe de renouveau permettant d’évacuer le stress quotidien en un lieu devenu inconfortable et d’entériner la fin de certaines contraintes, la promiscuité, les règles de la vie collective et des conditions émanant d’une hiérarchie parfois intrusive.
Cependant, le mythe du travail laisse place à une réalité plus en demi-teinte.
Le Covid et ses conséquences, en généralisant le recours au télétravail a au contraire pointé du doigt les inégalités inhérentes aux salariés, les différences de situation, de statut. Cette réalité ne tient plus à l’environnement imposé par l’employeur, mais plus simplement à leur vie personnelle. L’intrusion dans la sphère personnelle est bien plus prégnante que la position subie à l’intérieur d’un bureau d’entreprise.
Toutes les caractéristiques sociales de l’individu soudain remontent à la surface. Dans une sphère dite privée dépendant de lui seul, s’invite désormais la sphère professionnelle cette fois non choisie. Elle pousse ses murs, au propre et au figuré.
Les inégalités absentes au sein de l’entreprise sont mises à jour.
Marié (e), divorcé (e), des enfants, en bas-âge ou pas, des parents âgés à charge, un habitat luxueux ou restreint, tout devient clivant. La qualité des conditions de travail à domicile dépend dorénavant directement de l’individu.
Sur un même poste, à un même niveau hiérarchique, l’appartenance et le milieu social resurgissent. Dorénavant le collègue fait étalage volontairement ou non du confort de son intérieur et les conférences en Visio sont intraitables.
L’habitat personnel devenu bureau d’entreprise
Pas de problème pour se connecter à une réunion si l’on dispose d’une connexion fibrée, si l’on ne partage pas un débit saturé avec son conjoint et ses enfants. Pas de problème non plus pour s’isoler dans un bureau personnel si l’on dispose d’un nombre de m2 suffisant.
En milieu urbain un actif, en couple ou non, avec des enfants dispose rarement d’un bureau personnel isolé. Dans ces conditions, travailler dans sa chambre ou sur la table du salon n’offre pas nécessairement un confort supérieur à celui de l’Open Space. La frustration ressentie à l’égard de l’employeur change alors de camps. C’est une frustration personnelle, bien plus vive. Personne à blâmer, beaucoup à envier.
A cela s’ajoutent les petits soucis du quotidien. Il n’échappe à personne que la différence de qualité entre bureautique personnelle et professionnelle n’est pas secondaire. L’équipement personnel rentre là aussi en ligne de compte. Imprimante, toner, ligne téléphonique et internet, tout revient à la charge du salarié s’il n’a rien négocié.
Tous les éléments liés au travail en présentiel, bureaux, salles de pause, restaurant ou cantine, ne sont plus disponibles.
L’entreprise en télétravail se décharge de tous ces éléments connexes et se défausse de toute obligation en termes de mise à disposition des outils de travail, les réduisant au minimum. Ces mises à dispositions sont autant d’avantages reçus, perçus dont la disparition pourrait être programmée.
Le transfert de charges pose un problème réel d’iniquité et génère une distorsion au sein des entreprises. Le télétravail contraignant le salarié à assurer lui-même son propre confort durant ses heures de travail, il conviendra de négocier en amont des dispositions permettant de contrecarrer les inégalités de traitement sous peine d’exacerber les tensions au sein même de l’entreprise.
Patricia Capelle
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