Malgré des craintes multiples, le succès du Pass Culture est aujourd’hui évident. Devant les interrogations sur d’éventuels élargissements, la gratuité de la culture se réinvite dans le débat.
La réussite du Pass Culture, au-delà de l’impact évident sur des centaines de milliers de jeunes français, et sur la le soutien à tout un pan de notre économie, offre également un exemple, et des enseignements intéressants, sur ce que la gratuité de la culture peut offrir. Plus encore c’est aussi un certain nombre de clichés et d’inquiétudes plus ou moins fondées qui semblent dorénavant dissipés.
Arrêtons-nous peut-être sur la première et la plus prégnante de ces idées reçues qui voudraient que ce dispositif fasse la part belle aux « sous-cultures » à l’image des mangas, ce succédané de notre bonne bande-dessinée francophone où sexe, violence et tentacules font loi.
En laissant de côté cette acception du manga qui mérite à elle-seule qu’on s’y arrête longuement, les chiffres du Pass Culture montrent que si celui-ci était majoritaire durant les premières années, la part du manga dans les achats livres effectués via le Pass Culture est passée de 75% en 2021 à 44% aujourd’hui. Le chiffre est élevé mais il illustre aussi le dynamisme (et la multiplicité) des offres du manga sur le secteur jeunesse, ainsi que le succès évident d’une réelle stratégie de projection culturelle japonaise engagée depuis plusieurs décennies.
Elargissement du domaine d’une lutte
Avec des chiffres élevés d’adhésion qui peuvent monter à 85% des jeunes éligibles inscrits en Bretagne, le Pass Culture a montré que le dispositif était plus que pertinent et permettait réellement à toute une classe d’âge de bénéficier d’offres qui sans celui-ci auraient peut-être fait l’objet d’un arbitrage budgétaire différent.
Devrait-il alors être élargi ?
L’argument se tiendrait, quand les questions de la précarité étudiante s’invitent à chaque rentrée dans le débat public, il pourrait être logique de monter à 20 voir 24 ans l’âge d’éligibilité. En 2023, les coûts étaient estimés à 29 millions d’euros.
Pour un dispositif qui toucherait l’ensemble de la jeunesse un doublement, voire un triplement, ne seraient pas forcément inacceptables en termes de rapport qualité-prix, et ce d’autant plus quand on rappelle que ce sont les acteurs de la culture qui de fait en bénéficient.
Quitte à interroger peut-être, dans une logique d’équilibre budgétaire, la pertinence en retour de certains autres dispositifs de soutien à la culture et la création.
L’hypothèse de pensée peut même être amenée plus avant et au sein d’un débat qui place l’entreprise et sa responsabilité sociétale sur le devant de la scène, il pourrait être intéressant de voir l’initiative être copiée au sein des entreprises, au-delà du classique (mais déjà bienvenu) chèque culture annuel.
Plus largement la question posée est non seulement celle du rapport à la culture mais à sa valorisation dans la vie individuelle du citoyen, au même titre que les autres éléments constitutifs de sa qualité de vie.
Le gratuit a-t-il une valeur ?
En élargissant l’offre de culture et de divertissement, ne risquons-nous cependant pas de la tuer ? De nombreuses études, appuyées notamment sur le paradoxe du choix si bien exemplifié par Netflix en premier lieu, ont montré qu’un choix trop vaste rend celui-ci d’autant plus complexe, voire impossible. C’est ici que la curation, c’est-à-dire le partage d’une certaine forme de connaissance, joue son rôle pour accompagner l’utilisateur dans son choix.
A travers la curation, qu’elle soit incarnée par une connaissance individuelle, par un spécialiste, ou par une connaissance collective, un système de notation par exemple, cette offre n’est plus seulement une offre gratuite (ou du moins subventionnée) mais une valorisation du choix individuel au sein d’un environnement structuré.
La gratuité sous condition, enfin, n’est pas soumise aux mêmes écueils que les situations de gratuité parfaite. L’exemple de la gratuité des musées pour les jeunes a ainsi eu de bons résultats sur la fréquentation générale en favorisant le renforcement de l’acte culturel comme un acte social, qui a vocation à être partagé pendant ou après.
Le Pass Culture, en créant cet espace culturel commun, offre les mêmes bénéfices en permettant au sein de groupes d’intérêt de favoriser l’échange et la discussion sur des affinités qu’un grand auteur allemand eut pu nommer électives.
Au-delà de la seule dimension économique, au-delà du seul débat sur la qualité des œuvres proposées dans le Pass Culture, au-delà du débat inextricable entre Culture et cultures, la façon dont ce dispositif évoluera sera un signal important de la façon dont la société française souhaite traiter la culture et sa place dans la Cité.
Quentin Capelle
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