Après le retour en grâce des frontières durant la pandémie de Covid, le balancier de l’Histoire semble, en ce début d’année 2025, donner raison à ceux qui prédisaient la fin des frontières.
Une fin, ou du moins une érosion du caractère monolithique des frontières, qui ne découlerait toutefois pas d’une mondialisation heureuse, mais bien plutôt de la cristallisation de facteurs qui mettent en lumière la fragilité même des tracés hérités du XXe siècle.
Donald Trump, coutumier de l’outrance et des déclarations parfois inattendues tant elles semblent contrevenir à la bienséance diplomatique, a une fois de plus brisé un tabou en soulevant la question de l’expansion territoriale américaine. Au Groënland, dont l’histoire et le lien avec le Danemark sont déjà tumultueux, avec le Canada dont le premier ministre a régulièrement été qualifié de Gouverneur par le Président élu, accélérant sa chute, mais aussi au Mexique et au Panama avec les déclarations concernant la sécurisation de la frontière Sud des Etats-Unis pour lutter contre le narco trafic et l’option soulevée de récupérer le canal de Panama, au centre des échanges internationaux. Une longue liste de déclarations auxquelles s’ajoutent les prédictions de nombreux analystes concernant un cessez-le-feu ukrainien qui entérinerait l’annexion des zones occupées par les forces russes, mais aussi l’accord obtenu dans le conflit israélo-palestinien qui ouvre la voix à une reconnaissance de l’annexion d’une partie du territoire palestinien.
Mais le tumultueux président républicain n’est pas seul responsable de cette dynamique : le retrait progressif de la France du Niger, du Mali, et du Tchad dans le cadre de gouvernements pour certains issus de coups d’Etat militaires, interroge sur la pérennité des équilibres issus de la période post-coloniale. Au sein d’une zone particulièrement touchée par les mouvements séparatistes, alimentée par des tensions religieuses et ethniques, la capacité de ces gouvernements à se maintenir au pouvoir peut être mise en question. Sur le reste du continent africain la crise soudanaise s’enkyste sur un territoire de facto divisé entre les loyalistes et les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide qui contrôlent le sud du pays. En Somalie et au Mozambique également le pouvoir est confronté à la montée en puissance de groupes rebelles qui risquent d’évoluer en nouveaux foyers de guerre civile. En Amérique du Sud l’effondrement progressif de l’économie vénézuélienne rend probable une nouvelle position belliqueuse envers la Guyana voisine, riche en pétrole et minerais, à l’image des déclarations de 2023. Dans la zone asiatique enfin la situation au Myanmar continue de se dégrader et le conflit entre le Pakistan et l’Afghanistan soutien aux talibans pakistanais semble augurer d’une année meurtrière, après des années de soutien aux forces talibanes.
Au-delà d’un seul tableau déprimant des conflits encore actifs en ce début d’année 2025, la nature de ces conflits ou de ces prises de position internationale pose la question de la pertinence des frontières, notamment issues de la période coloniale puis de la décolonisation du XXe siècle. Le Groenland, sans forcément devenir américain, sera probablement indépendant d’ici peu, dans la continuité du processus entériné depuis 2019. L’Ukraine sera probablement, au nom d’une realpolitik américaine, amputée d’une partie de son territoire, un évènement qui marquera l’histoire d’une Europe dont la caractéristique principale était la stabilité et la paix depuis sinon 1945 du moins la fin de la guerre froide. Rupture symbolique également, avec le retour au pouvoir d’un Donald Trump qui semble plus que jamais vouloir casser les codes d’un formalisme des relations internationales qui lui semblent absurdes au nom de la protection des intérêts américains. La question désormais, et l’aboutissement des processus russo-ukrainiens et israélo-palestiniens en seront les déclencheurs, est de savoir quel effet auront ces premiers dominos. En reconnaissant que l’inviolabilité des frontières n’est plus une règle d’airain sur la scène internationale, en reconnaissant que l’annexion par la force n’est plus synonyme d’engagement pour les forces du droit international, la porte pourra sembler ouverte à la réorganisation des frontières de nombreux pays, au nom de considérations économiques ou ethniques.
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