En luttant sans combattre pour individualiser l’expérience de travail, la Génération Z va-t-elle transformer plus encore que ses aînés le rapport au travail et aux droits des travailleurs ?
La crise sanitaire a profondément transformé le rapport individuel au travail, aussi bien pour les générations déjà actives qui ont vu en quelques mois une pratique marginale, et souvent marginalisée, devenir la norme, que pour une nouvelle génération, Z ou Covid, qui a découvert un travail fondamentalement différent.
Cette fracture, que de nombreuses entreprises vivent au quotidien, entre jeunes et moins jeunes, semble cependant augurer d’une nouvelle forme de combat pour les droits sociaux, à l’opposé de ce qui était hier l’équilibre entre partenaires sociaux. Là où la lutte pour les acquis sociaux d’hier, de la réduction du temps de travail à la protection des travailleurs contre les formes de discrimination, s’illustrait par des mouvements d’ampleur incarnés par des figures fortes et des revendications expressément identifiées, le télétravail incarne une nouvelle approche. Sans leader, sans revendication, sans lutte à proprement parler puisqu’aucun combat n’a réellement été mené. Suite à la crise sanitaire la majorité des entreprises a simplement décidé de pérenniser le dispositif sans que les collaborateurs aient eu besoin de le demander. L’évidence était telle qu’aucun combat, aucun texte de loi non plus, n’ont été nécessaires pour faire du télétravail un droit, quand bien même celui-ci n’est aucunement codifié et dépend encore de la décision de chaque entreprise, sans obligation de négocier avec les partenaires sociaux.
Bien que l’exemple du télétravail soit relativement unique du fait des conditions de sa mise en place, il appelle cependant à une comparaison, sinon un rapprochement, avec la transformation des luttes sociales dans leur ensemble. Aux mouvements incarnés d’hier semble avoir fait suite l’émergence de mouvements caractérisés justement par leur déstructuration, sans leader ni charte de revendication. On peut ainsi aussi bien citer le mouvement des Gilets jaunes qui avait vu un mouvement « classique » incarné et centré sur une revendication particulière, le prix de l’essence, devenir un agrégat de lutte et de demandes parfois contradictoires, qui s’était également démarqué par l’impossibilité d’identifier un leader évident. Ce que certains analystes ont pu définir comme la transformation de luttes verticales vers un modèle de lutte horizontale, où la base est plus importante qu’un quelconque chef, est également intéressant d’analyser dans le cadre de l’environnement de travail.
Le télétravail, comme peut-être la semaine de 4 jours demain, est l’exemple de ce qui pourrait être une nouvelle forme de lutte, celle par la négation. Si l’entreprise ne propose pas X avantages (et non pas droits) alors celle-ci devient inattractive, aussi bien pour fidéliser ou attirer de nouveaux talents, que pour le grand public en termes de dégradation d’image. Si l’argument de la conjoncture positive du marché du travail peut être avancé, arguant que cette technique ne fonctionne que tant que le travailleur est en situation dominante au regard des offres d’emploi, il semble également imparfait. Les entreprises qui proposent les meilleures conditions pourront embaucher les meilleurs, et ceux qui ne le font pas risquent de ne pas pouvoir embaucher du tout, comme avec le télétravail.
Dire que nous sommes à l’orée d’une « fin des luttes sociales » où le travailleur aurait la capacité, par son seul choix d’entreprise, de transformer le statu quo, serait probablement excessif. Cependant dans ce que cette tendance montre en termes de translation de luttes pour les droits collectifs vers la « lutte » pour les droits individuels, celle-ci pourrait être un indicateur intéressant d’une transformation plus large du rapport au travail et de la société dans son ensemble. Au risque également de mettre en lumière la perte de l’importance, dans ce rapport de force, de la notoriété « historique » de l’entreprise dans le choix du travail, comme incarné encore récemment par la déclaration des étudiants refusant de travailler pour l’industrie pétrolière.
Il semble que pour beaucoup d’entreprises ce nouveau mouvement, et plus largement la question du bien-être salarié, oblige à repartir de zéro en termes d’attractivité et d’advocacy, quitte également à ce que les entreprises les plus en pointe sur le sujet bénéficient d’une prime conséquente.
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