Jean-Marc Savoye, est l’un des pionniers de l’édition non-déléguée. En 2000, alors que l’usage d’internet explose, il décide de créer l’une des premières solutions d’autoédition (d’ouvrages). Interview.
Il y a 20 ans vous avez créé Le Publieur, une révolution pour les auteurs, pourquoi ?
Par passion. Je suis fasciné depuis toujours par les gens qui écrivent. Au-delà des écrivains professionnels, il y a tous ceux pour qui c’est un besoin, qui veulent s’exprimer, transmettre en écrivant, laisser une trace. J’ai beaucoup de tendresse envers ces écrivains dont le besoin viscéral simple est d’écrire, écrire et être lus.
Or avant les années 2000, les personnes qui souhaitaient être éditées, n’avaient qu’une seule possibilité, passer par l’édition dite « à compte d’auteur ». Plusieurs sociétés en avaient fait commerce. La Pensée Universelle, l’Académie Européenne du livre, entre autres offraient cette possibilité. Un système que j’estimais être particulièrement inéquitable.
Il fallait payer souvent très cher pour être édité, et céder la propriété intellectuelle. Le livre n’appartenait plus à son auteur. Une sorte de double peine.
Les auteurs étaient à la merci de professionnels qui profitaient de leur envie d’être lus en leur faisant miroiter des services qui n’existaient pas, payés au prix fort.
Anne Diatkine écrivait dans Libération en 1996, « une chance pour les auteurs susceptibles de débourser jusqu’à 100 000 francs pour être imprimés : la plus grande maison d’édition à compte d’auteur est en liquidation judiciaire… condamné pour publicité mensongère, fraude en matière de produits et services. »
Alors pourquoi vous engager dans un secteur qui suscitait un peu de méfiance ?
Après près de vingt ans passés chez deux des plus grands éditeurs de Paris, je possédais une vision très claire de ce que l’on pouvait désormais mettre en place : un système professionnel respectueux des auteurs, sans fausses promesses.
On pouvait les éditer autrement, sans les spolier. Les années 2000 ont bouleversé l’économie du livre. Les particularités liées à l’édition ont énormément évolué, les coûts aussi. La révolution du numérique a bouleversé l’économie du livre, plus besoin d’imprimer en grandes quantité, plus besoin de stocks importants. Je savais qu’on pouvait grâce aux avancées techniques éditer autrement, ouvrir d’autres voies, c’est ce que j’ai mis en place.
Vous avez choisi un nom qui en dit long sur votre posture.
En effet, j’ai voulu montrer qu’on ne se positionnait pas comme un éditeur. J’ai inventé le nom et la notion de Publieur. Nous sommes le lien, professionnel et technique, entre un auteur et ses lecteurs. Nous lui permettons d’être publié.
En aucun cas nous n’intervenons dans le processus créatif, le positionnement. Nous ne choisissons pas de déterminer qui a le droit de publier ou non. Quel écrit s’inscrit dans une ligne éditoriale, une collection. Quel écrit possède les qualités ou les défauts qui lui permettront d’être un produit commercial rentable. Nous sommes au service de celui qui crée et souhaite transmettre. Ce n’est pas notre auteur, notre livre, mais le sien. Nous sommes le facilitateur professionnel.
Vous dites que l’autoédition représente une avancée démocratique
Oui. La numérisation est une des phases clés de la démocratisation de l’écriture et de l’édition.
Pour la première fois de l’histoire l’édition est vraiment à la portée du plus grand nombre. Les hommes se sont donnés les moyens de diffusion dont ils avaient besoin. Des scribes de l’antiquité à l’offset en passant par Gutenberg, les capacités d’impression et de diffusion ont augmenté proportionnellement aux publics concernés.
Aujourd’hui avec le numérique et internet tout le monde, à un coût accessible, peut éditer et commercialiser, quasiment en temps réel, tout contenu qu’il juge intéressant de partager. En ce sens, je crois qu’on peut parler de progrès démocratique.
Au-delà de la technique, écrire ne suffit pas à être lu.
Bien évidemment. L’autoédition permet de matérialiser l’écrit sur un support, livre papier ou e-book, pour autant la diffusion reste la principale difficulté. Les maisons d’édition à compte d’auteur laissaient croire à leurs clients qu’ils allaient du jour au lendemain toucher le plus grand nombre, devenir riches et célèbres. Nous sommes revenus de tout cela. Nous assurons la diffusion de façon professionnelle sans promettre des résultats peu réalistes.
On constate d’ailleurs que la démarche des auteurs est beaucoup plus pragmatique. Ils ont souvent autour d’eux déjà une communauté à laquelle ils souhaitent s’adresser préférentiellement. Très souvent aller au-delà de cette communauté est un plus, pas l’objectif majeur.
En réalité il ne suffit pas de monter sur le balcon du 8ème étage des Champs-Elysées pour que les multiples passants vous remarquent. Il y a le flot, il y a le flux, mais dans ce brouhaha, faire entendre sa voix reste difficile.
20 années plus tard, quel est l’avenir de l’autoédition
On estime à plus de 50 000 le nombre de livres autoédités en France depuis 2020.
Depuis 10 ans le nombre de livres autoédités a doublé. Ils sont passés de 10% à 20% des dépôts légaux de livre en France selon la BNF, soit 1 livre sur 5.
Chiffres dépôts BNF – Source IdBoox
Cette évolution devrait continuer selon moi. La démarche d’autoédition se généralise bien au-delà du roman ou de la poésie. Ils ne représentent qu’un peu plus de la moitié, 53% exactement, des ouvrages.
L’offre de service explose, parallèlement aux groupes d’écriture qui se développent.
Au-delà du particulier se sont aussi les patrons d’entreprise, les grands groupes se tournent vers cette solution. Parce que l’édition traditionnelle ne peut pas satisfaire leurs besoins. Ils restent libres de leurs contenus, et bien accompagnés, ils ont un résultat qui satisfait leurs objectifs de témoignage, de transmission ou de partage.
Croyez vous que le livre papier soit amené à disparaitre ?
Probablement pas dans un avenir proche. On constate que le livre numérique reste une alternative. Seuls 4% des livres ne sont édités qu’en numérique, alors que 74% sortent dans les deux formats. On note qu’il reste encore 22% des livres qui ne sortent qu’en format papier (Source BoD).
Même si le livre numérique est un vrai progrès. Il est très écologique car il permet d’éviter l’impression, le stockage et le transport, des postes très couteux en termes d’émissions.
Le livre papier quant à lui reste un élément matériel qui se montre, se prête, se transmet.
Il appartient à l’univers de celui qui le possède. Dans une bibliothèque, il est plus qu’un objet, c’est un signe extérieur de culture. Un témoin.
Patricia Capelle
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