L’histoire européenne est ponctuée de secousses telluriques qui ont façonné la géographie des pouvoirs sur le Vieux Continent, du traité de Verdun aux accords de Yalta en passant par le Congrès de Vienne. Aujourd’hui l’Europe semble revenue à la situation d’avant 1914 avec les trois « modèles » concurrents de l’Allemagne, du Royaume Uni et de la France. En signant le traité de Maastricht, la France se rapprochait du modèle allemand mais elle n’anticipait pas la remise en cause de son Etat-Providence.
Il est évident que, si à la fin des discussions de séparation avec le Royaume Uni, l’Europe continentale rassemblée autour de la monnaie européenne ressort divisée, les espoirs exprimés dans la préface de Michel BARNIER de 2012 seront anéantis.
Rien n’est moins sur. Les analyses de 2011 sur la reprise en mains par les USA de leur famille occidentale, celles de l’usure du modèle de gouvernance de l’UE, poussent à penser à un rééquilibrage de raison entre Berlin et Paris. On ne voit pas le Français s’effondrer et l’Allemand l’écraser, comme en 1940, en plein Brexit.
Pour éclairer les chances de ré équilibrage entre Berlin et Paris, revenons aux réflexions géopolitiques de 2012. Qu’étaient les perspectives, vérifiées depuis.
« L’Europe, telle qu’un Chinois peut la voir à l’ouest de l’Oural, est passée, dans les années 90, sans drame, d’une coupure longitudinale, le rideau de fer et le mur de Berlin, à une coupure latitudinale le 45e parallèle. Dans l’ancien modèle les mauvais étaient à l’est, enfermés dans leur complexe idéologique et militaire. Les bons étaient à l’ouest, ouverts au monde, avec leur modèle social et industriel, né dans la communauté charbon acier en 1957.
En dix ans l’Est géopolitique a disparu. Pendant ces temps cruciaux la France, avec les meilleures intentions du monde, a choisi ses bureaux et son modèle social, hédoniste et providentiel. Les Allemands ont choisi leurs usines et leur modèle à la fois monétaire et industriel exportateur. Les Anglais ont choisi leurs banques et leur modèle monétaire et financier universel. Ce fut le retour juste avant 1914.
Pourquoi, alors, l’Europe n’est elle pas encore morte ? La raison tient aux trois décisions prises, toutes favorables à l’Allemagne et au Royaume uni, ainsi incitées à poursuivre la vie confortable au sein de l’Union. C’était il y a 20 ans, c’est fini. Pour que ce couple franco- allemand, séparé de biens, pas encore de corps, se rabiboche, il faudra que soit l’Allemagne change, soit la France change. Pour apprécier la probabilité de la survenance de chaque terme de l’alternative, il faut rappeler les trois décisions néfastes que la France a laissé passer il y a 20 ans.
- La première décision a consisté pour les dirigeants français, en 1990, à regarder passer le train de la réunification allemande sans regarder vers où il allait.
- La seconde décision a consisté, deux ans plus tard, en 1992, à partager, dans le traité de Maastricht, le modèle monétaire et industriel allemand, sans en avoir ni la monnaie ni l’industrie, avec des engagements de déficit et d’endettement que la France serait incapable de tenir. Y ajoutant l’instauration d’une monnaie unique qui supprimerait les dévaluations répétées, bases de la compétitivité de la France. Ce fut l’acte de condamnation du modèle providentiel des Français.
- La troisième décision a consisté à adopter l’Euro sans la Grande Bretagne. Elle a remis la France et son modèle social entre les mains de la politique économique de l’Allemagne et de son modèle monétaire et industriel.
C’est ainsi que, depuis 20 ans, l’Europe vit avec un grand malade, son vieux père, le modèle social né pendant la guerre froide. Il a généré deux enfants aux caractères inconciliables, le modèle latin consommateur, le germanique producteur.
Le décrochage survenu entre les deux premières économies de l’Union Européenne, au détriment de la France, n’est qu’un des éléments de ce mal être des Français. Lucidement, le malaise économique est plus facile à résoudre que le mal être ambiant. Il suffirait que pendant un quinquennat la société française préfère la production à la consommation, le travail qui se vend à l’emploi qui s’administre.
Il est intéressant d’entendre ce qui se dit, à ce sujet, dans les débats de la campagne présidentielle française. Le pouvoir en place à Paris est vilipendé au motif qu’il s’est trop soumis à l’Allemagne et à l’Euro. Jusqu’où ? »
Stop !
Regardons vers l’avenir en retenant que la dernière phrase concernait la présidentielle de 2012, pas celle de 2017. Ce qui signifie qu’après un quinquennat pour rien, la France peut en vivre un différent et sortir de son marasme politique.
Certes, Paris partagera avec Berlin, en plein Brexit, le même contexte géopolitique mondial, mais, les sujets de demain seront beaucoup plus sensibles outre Rhin : la démographie, les migrations, les rapports de l’UE avec la Turquie, ceux avec les pays de l’ex glacis russe de la précédente guerre froide, les sources d’énergie, les marchés automobiles, la nouvelle guerre froide. Tous seront plus difficiles à gérer politiquement pour les dirigeants allemands que pour les Français.
Surtout si le Royaume Uni se rapproche du modèle Français en quittant l’UE.
Sans remonter au traité de Verdun, au congrès de Vienne, ou aux accords de Yalta, l’Europe a le secret de ces grands débats structurants qui accompagnent ses cassures. Le deal sur le BREXIT, en forme de paix chaude, ne faillira pas à la règle.
Michel ROUGER
Président de l’Institut Présaje
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