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Le petit livre rouge 2.0

En quelques jours à peine le feuilleton autour de l’interdiction de TikTok a fait voler en éclat l’idée de la toute-puissance du politique, tout en portant un coup symbolique à la mythologie américaine.

Devant la possible (et finalement sans lendemain) interdiction de TikTok aux Etats-Unis, dans la continuité d’un mouvement engagé par les représentants américains pour la protection des données, des millions d’utilisateurs américains ont migré en quelques jours sur une autre plate-forme nommée Xiaohongshu. Ironie de l’histoire, si la maison mère Bytedance était officiellement la cible des législateurs américains du fait de son lien avec les autorités chinoises, Xiaohongshu, comme son nom peut l’indiquer est également une entreprise chinoise, basée en Chine. Comble d’une ironie pour un symbole qui a de quoi surprendre, Xiaohongshu signifie en traduction littérale « Le petit livre rouge ». Des millions de jeunes américains, entre 14 et 30 ans, ont donc choisi en quelques heures de télécharger « Le petit livre rouge », une plate-forme encore majoritairement en mandarin, plutôt que d’abandonner leur habitude de consommation. Ce que McCarthy craignait, la dangereuse contamination de la jeunesse américaine par l’idéologie communiste, n’aura finalement pris que quelques heures et ne résulte pas d’une grande guerre de la pensée mais bien seulement d’une décision réglementaire limitée, où la protection des données des utilisateurs le partage largement avec la volonté de protectionnisme du marché américain sur les réseaux sociaux.

Si les utilisateurs n’ont pas littéralement acheté le recueil des citations de Mao et si Xiaohongshu est bien loin d’être un porte-parole du communisme, étant une plate-forme à la rencontre entre place de marché et réseaux sociaux à destination des cadres supérieurs chinois, le symbole a de quoi nous faire sourire, et de quoi fortement hérisser les républicains traditionnels aux Etats-Unis qui ont connu la Guerre Froide. Au-delà de cette gourmande pièce d’absurdité de l’Histoire et du coup porté à la mythologie américaine qui plaçait dos à dos la liberté capitaliste contre la contrainte communiste, cette ruée vers Xiaohongshu illustre également la limite du pouvoir politique. A l’heure où la vision de la présidence portée par Trump est celle du pouvoir, de la toute puissance américaine et de la politique du « bullying » sur la scène internationale, l’échec de cette tentative montre que certains secteurs sont difficilement encadrables. Les réseaux sociaux, produit digital par excellence, aussi bien par leur gratuité que par leur place centrale dans la vie de nombreuses personnes de par le monde, et ce sans distinction d’âge ou de classe sociale, sont des produits liquides. Liquides car dépendant uniquement de l’accessibilité à Internet et donc très difficilement contrôlables, liquides également par leur rapport paradoxal à la marque. La marque est primordiale, travaillée, les utilisateurs sont fidèles… mais ne la défendront pas. Si celle-ci disparaît ou devient plus complexe à utiliser, les utilisateurs ne seront finalement fidèles qu’à l’usage et peuvent trouver, comme dans ce cas, une alternative presque immédiate.

Un des premiers échecs relatifs de la présidence Trump, ce micro-évènement est peut-être le plus important en ce qu’il montre la limite de la stratégie protectionniste, mais aussi la transformation et la résilience des citoyens-consommateurs. Sur les produits digitaux, que ce soit réseaux sociaux ou plate-forme de diffusion comme Netflix ou équivalent, sur les applications dans leur ensemble, encadrer et réglementer ne peut plus se faire comme avant. Et la construction d’appareils normatifs individualisés comme le fait souvent les Etats-Unis, permettant de cibler une firme étrangère en particulier, n’est plus la solution miracle. Entre règlement général à l’image du RGPD ou laisser faire complet, il faudra choisir, avec l’impact que ces modèles ont sur l’innovation et la capacité à la « disruption ».

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