Molière est-il internationalement connu ? Et le cas échéant devrait-il l’être ? Tout amoureux des lettres, de la langue, ou simplement Français assumant un certain chauvinisme dirait probablement que oui.
Qu’en est-il alors de Shakespeare, de Dante, de Goethe, de Bâ, de Luxun, de Kawabata… Si les premiers noms peuvent être familiers à un grand nombre, les derniers le sont peut-être moins, quand ceux-ci sont reconnus dans leurs pays respectifs (Sénégal, Chine et Japon) comme des auteurs d’une importance équivalente en termes d’histoire et de création d’une littérature nationale.
La raison de cette interrogation, et in fine de la question de la familiarité avec la ou les littératures, tient à la façon dont celle-ci est enseignée en France aujourd’hui. Oscillant entre cours de grammaire et cours de littérature selon les âges, l’enseignement du français s’appuie largement sur la compréhension de textes de fiction, et l’épreuve du baccalauréat est de fait une épreuve de littérature, d’analyse de texte ou de dissertation, et non pas une épreuve indiquant le niveau de langue de l’élève.
Dès lors une nouvelle question doit être posée, si l’épreuve de français est une épreuve de littérature, si elle a vocation à faire découvrir et aimer les livres aux élèves, comment se fait-il que celle-ci s’appuie presque exclusivement sur des œuvres uniquement françaises ?
Humanisme mais Français
Le tropisme de l’apprentissage du français en faveur des œuvres nationales n’est bien évidemment pas à remettre entièrement en cause, et l’importance de Molière, Corneille, Proust, Malraux, Camus et bien d’autres va au-delà de la seule qualité littéraire mais s’inscrit dans l’histoire et la création d’un récit national.
La présence des seuls auteurs français cependant, au détriment des grandes œuvres de la littérature mondiale, pointe une certaine hypocrisie d’un modèle qui se targue pourtant d’être inspiré de la vision humaniste. Quitte à être volontairement caustique, il semble que la lecture d’un Bazin, d’un Fournier, pourraient parfois être remplacée par un Hemingway, un Pirandello, un Chraïbi et bien d’autres.
Au-delà d’une volonté d’exhaustivité qui n’aurait pas de sens, ou d’un relativisme malvenu qui ôterait à la France son importance dans l’histoire littéraire, cette démarche s’inscrit d’abord dans une perspective de pédagogie et sur le long terme, de faire aimer la littérature aux élèves, aussi bien pour leur divertissement que pour le développement de cette culture générale si utile à l’esprit critique.
Dans cette dimension l’apport d’œuvres étrangères, en plus d’une dimension pédagogique évidente en multipliant les sources adaptées aux âges et aux capacités de lecture (difficile de faire mieux qu’un Vieil Homme et la Mer en termes de lisibilité et de taille), ouvre également l’horizon culturel de l’élève.
L’argument même de la valorisation des œuvres par les élèves peut être soulevé, ou du moins le contre argument puisqu’asséner qu’une œuvre est un « classique » sans offrir de contrepoint au lecteur n’est que rarement efficace.
Culture générale
Au-delà de ces conceptions individuelles qui peuvent par certains aspects sembler liée à une appréciation pointue, sinon pédante, de la littérature, l’enjeu de la culture générale proposée par l’enseignement est également importante.
Au regard de l’importance de la culture anglo-saxonne, difficile d’échapper à ses références, et l’enjeu de la compréhension existe. « Être ou ne pas être… », « Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark… » sont autant de références structurantes dans la culture anglo-saxonne que peut l’être notre « sombre clarté » ou que le « Demain dès l’aube » hugolien.
Si l’évolution de l’enseignement, et sa valorisation, a largement évolué au niveau international, plaçant mathématiques et matières scientifiques au pinacle des marqueurs de qualité, la France a continué de faire le choix d’un enseignement unique : journée complète, focus sur les humanités etc.
Se pose aujourd’hui le choix de notre modèle, s’il est humaniste alors il faut assumer de le faire sortir de nos seules frontières, s’il ne l’est pas alors une plus grande réforme encore devra être engagée.
Quentin Capelle
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