Annoncer la fin des GAFA alors que les grands vainqueurs économiques de l’année 2020 sont les géants du numérique, qu’ils soient Américains ou Chinois est une provocation. C’est en grande partie vrai, au vu de leurs résultats financiers. Mais sous la surface, de grands mouvements sont déjà présents et mettent en danger leur avenir.
Bien sûr, tous ne disparaîtront pas mais ils devront changer de modèles économiques et de stratégies pour garder leur croissance ou même simplement continuer à exister.
Mais avant, il est important de revenir sur cette aventure industrielle qui a changé le monde.
Les échecs des fleurons informatiques
Bien avant les GAFA, il y avait les constructeurs de matériels informatiques. Tous les premiers étaient américains. Mais à partir de 1980, plusieurs mutations technologiques modifièrent cette situation établie; en particulier l’émergence du PC individuel et la généralisation de l’informatisation des entreprises de toutes tailles.
Les années 1990 ont été une période difficile pour les géants de l’informatique aux États-Unis car les constructeurs informatiques mondiaux étaient en crise et en particulier les deux premier : IBM et DEC.
IBM, avait pourtant réussi sa mutation des grands systèmes vers les Mini avec la gamme 38 puis AS400 pour servir les entreprises de toutes tailles. Mais elle a échoué dans sa prise de monopole du PC (pourtant leader avec 21% du marché en 1986) en voulant imposer son système d’exploitation propriétaire OS/2 et en abandonnant le standard MS-DOS. Résultat, en 1992 et 1993, IBM enregistre des pertes historiques de plusieurs milliards de dollars.
Ce fut un traumatisme pour les américains de voir un de leurs fleurons au bord du précipice. « Big Blue », comme on l’appelait à l’époque, a dû entamer sa mue vers les services tels que nous les connaissons encore aujourd’hui.
Moins de chance pour le numéro 2 mondial de l’époque. DEC (Digital Equipement Corporation) fut contraint de licencier et de vendre ses pépites technologiques telles que sa base de données (RDB) vendue à Oracle dès le début des années 90 avant d’être finalement racheté en 1998 par Compaq.
Un évènement sociétal majeur est venu compléter cette mutation structurante au niveau mondial.
La fin des années 80 du siècle dernier, surtout à partir de la chute du mur de Berlin, a permis l’émergence d’un monde ouvert ; où les personnes et marchandises circuleraient sans contraintes ; où tous les pays pourraient communiquer et se développer dans un environnement technologique unique. Le concept d’universalisme numérique était né.
La création.
La technologie existait déjà, Internet. Elle était utilisée par les chercheurs et les universitaires, il suffisait de l’ouvrir au grand public pour que cette utopie « d’universalisme numérique » commence à se réaliser.
Même si les premières plateformes sont fermées et payantes telles que Compuserve, aux États-Unis, dès les années 1980, le monde bascule vers un accès Internet ouvert en 1995 pour ne plus le quitter.
Pour permettre l’accès facilité aux utilisateurs non avertis il fallait des applications. Le premier navigateur du Web, Mozaïc, a été développé et publié en open sources par le CERN (Organisation Européenne de Recherche Nucléaire – basée en Suisse) avant d’être repris par les américains et de devenir Netscape. Il sera rejoint par le moteur de recherche « Altavista », et Outlook pour les mails Windows …
A partir de ce moment, les États-Unis sont les premiers à comprendre tout le potentiel de ces nouvelles technologies. Ils vont construire une stratégie industrielle dont les bases ont été posées par le discours de 1998 au MIT du Vice-Président de l’époque Al Gore.
Cette stratégie, vise à reprendre le leadership perdu par les constructeurs informatiques américains en investissant sans compter dans les innovations technologiques associées au numérique.
Pour cela, ils détenaient un atout particulier, au travers de l’ICANN (The Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) et via leur écosystème de constructeur informatique, la capacité de développer les infrastructures réseaux et de maitriser les fameuses adresses IP qui permettent aux données de circuler entre les programmes contenus dans les plateformes de services et les applications contenues dans les ordinateurs (et bien plus tard dans les smartphones).
Dans le même temps, la croissance de la puissance des processeurs avec la vérification de la loi de Moore et la multiplication par 30 en quelques années des débits des connexions ont permis des accès beaucoup plus rapides aux informations et aux applications par les utilisateurs (1).
La croissance
Universalisme et mondialisation heureuse.
Durant les premières années 2000, nous voyons arriver le concept de « mondialisation heureuse » sur fond de démocratisation des accès et usages.
L’arrivée des réseaux sociaux puis des smartphones permettront à chacun de prendre son indépendance numérique et de créer le binôme « identité physique et numérique », dont les données seront si chères aux futurs GAFA.
S’ouvre alors la grande expansion mondiale du numérique. L’émergence des « Startup Licornes » s’est construite aux États-Unis grâce à une stratégie de développement innovante avec un écosystème puissant caractérisé par :
- Le modèle de la gratuité comme pour Google et Facebook et du coût marginal zéro pour Amazon qui, en finançant ses infrastructures par le commerce électronique pour en revendre les capacités au travers de nouveaux services tels que AWS (Amazon Web Services créé en 2006)
- La puissance financière des fonds américains et de la bourse.
- Un développement commercial mondialisé dès la création pour accéder rapidement à une situation de monopole.
- Un marketing et une communication localisée omniprésente.
- Une protection liée à la puissance du Droit US.
- Un lobbying juridique pour éviter les entraves potentielles des Droits locaux (Pays de commercialisation)
- Une stratégie de rachat de toutes les innovations qui pourraient constituer des concurrents ou des avantages compétitifs technologiques ou commerciaux (près de 500 sociétés ou Startups rachetées en 20 ans) . Quelques acquisitions marquantes de cette période :
- Pour Google ; Picasa en 2004, Android en 2005, Youtube en 2006 ou Double Click en 2007 (3).
- Pour Amazon, Facebook et Apple : Les acquisitions de cette période ont été plus modestes car les investissements ont été consacrés aux infrastructures et aux développements, notons juste Alexa en 1999 pour Amazon et NeXT pour Apple (qui marquera le retour de Steve Jobs) (4).
- La création d’une multitude de services gratuits complémentaires au service de base (5).
Cela a été une période extraordinaire, où les Google, Amazon, Facebook et Apple (avec le retour Steve Jobs en 1997) ont profité d’un marché ouvert sans entrave qui va leurs permettre d’acquérir des positions dominantes mondiales dans chacun de leurs domaines. Et avec l’arrivée des Smartphones en 2007 et le développement qui en a suivi – les GAFA étaient nés.
A suivre « Les GAFA : le début de la fin – Partie 2 : Domination et Arrivée de la concurrence »
Philippe ROUGER
(1) Le débit des connexions sont passées de 14 Kbits en 1995 à 512 Kbits avec l’arrivée de l’ADSL en 2000
(2) Startup valorisée à plus de 1 milliard de $
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_acquisitions_de_Google
(4) https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Amazon,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_acquisitions_de_Facebook
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_acquisitions_d%27Apple
(5) Stratégie initiée par Google avec Maps, Google Earth ou Gmail et qui sera généralisée sur les Smartphones
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