Stéphanie Serror, Avocate Associée chez La Garanderie Avocats, spécialiste des questions de relations individuelles et collectives au travail, a bien voulu répondre à nos questions relatives aux nouvelles avancées en terme de QVT devenue QVCT.
On connaissait les règles imposées à l’entreprise en matière de QVT (Qualité de Vie au Travail), depuis le printemps cette règle a laissé place à la QVCT (Qualité de Vie et des Conditions de Travail), pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Passée quelque peu inaperçue, la modification de l’acronyme par l’ANI (Accord National Interprofessionnel) du 9 décembre 2020, qui a introduit le C de QVCT est loin d’être mineure. La modification est désormais effective dans le code du travail depuis le 1er avril 2022 : c’est officiel, la QVCT remplace la QVT en rajoutant le C de Conditions. L’acronyme devient Qualité de Vie et Conditions de Travail. Le législateur a souhaité mettre davantage l’accent sur les conditions de travail, plus que sur la qualité ou le climat de travail.
Jusqu’à présent, les entreprises misaient plutôt sur la bonne ambiance au travail, sur un cadre agréable, comme par exemple des open-spaces joliment décorés et aménagés avec des espaces « zen », des moments conviviaux et de cohésion entre les collaborateurs, tels que des Afterworks, des teams buildings, des initiatives sportives comme les cours de yoga, zumba, running …
La priorité était donnée à la bonne ambiance au travail : « Si on a une bonne ambiance, alors on va pouvoir fidéliser nos collaborateurs ».
Bien que louable, cette avancée a été jugée insuffisante par les partenaires sociaux, qui ont considéré qu’au-delà, la qualité de vie au travail c’est aussi la nécessité de disposer de bonnes conditions de travail. Cela regroupe notamment la prévention des harcèlements, des risques psycho-sociaux (les RPS) et des risques physiques qui n’étaient pas ou peu appréhendés dans le dispositif précédent.
Au-delà de la façade du baby-foot, du Pilates et des Afterworks, ces dispositifs « bonne ambiance » ne permettaient pas forcément d’aller assez loin, d’aller chercher celles et ceux qui souffrent au travail sans nécessairement le montrer. Ceux-là ne vont pas ou très rarement à ce type de manifestations, car ils ne se sentent pas concernés : le mal être peut-être tel qu’ils n’éprouvent aucune envie de partager des moments de cohésion.
Pour moi, le C qui a été rajouté signifie que pour prévenir davantage les risques, il faut ouvrir la boite à outils du DRH et en particulier celui de la formation.
Pourquoi la formation est-elle selon vous un outil si crucial ?
La formation est une composante essentielle de l’action de prévention par la transmission de bonnes mesures préventives. L’attention portée à la gestion des risques professionnels dans l’entreprise tend à se renforcer de plus en plus, notamment pour gommer l’impact négatif sur l’image de l’entreprise, causés notamment par les accidents du travail et des maladies professionnelles.
La formation tout au long de la vie professionnelle est extrêmement importante, et ce, quel que soit le poste occupé, encadrés comme encadrants.
Ainsi, la formation des « managers » pour leurs fonctions de managers par exemple, est trop souvent oubliée ou bâclée au profit de formations « opérationnelles ». Et pourtant, elle est essentielle.
Les managers sont la pierre angulaire de la structure d’une entreprise.
On a le haut de la pyramide avec un système d’organisation hiérarchique. Au milieu, il faut qu’il y ait cette structure, qui encadre et permette une transmission de qualité des attentes et des enjeux, sinon les risques liés à la perte de sens et de motivation sont forts.
On s’appuie beaucoup sur des managers qui n’ont pas nécessairement envie d’endosser le rôle de responsable de la transmission : « Si je transmets mal ou si je ne transmets pas, quelque part c’est moi qui endosse la responsabilité. C’est moi qu’on viendra incriminer pour insuffisance professionnelle dans le cadre de mes fonctions de manager. »
Précisons qu’en matière sociale, le manager fait du droit du travail au quotidien : gestion des périodes d’essai, des congés, de la durée du travail, des entretiens d’évaluation, du droit disciplinaire, gestion des représentants du personnel dans l’équipe, gestion et détection de situation de harcèlement (sexuel et moral) …. Pour autant, le droit du travail peut être très éloigné de la formation initiale et opérationnelle du manager qui n’en a jamais fait.
En les sensibilisant sur les enjeux en matière sociale qui font partie intégrante de leur rôle de manager, et en leur transmettant les bons réflexes pour appréhender une situation à risque, ils sauront ensuite utiliser les outils adaptés auprès des membres de leur équipe et être les relais des services RH. C’est un point clé.
Au-delà, et plus largement, développer les compétences de l’ensemble des collaborateurs en Santé et Sécurité du Travail est essentiel à la fois pour l’organisation, pour la motivation au travail et pour le respect des règles du Code du Travail.
Est-ce que nous entrons dans l’ère de la prévention ?
Pour moi le C, c’est prévenir pour mieux guérir, voire ne pas avoir à guérir. Sur la QVT simple on était plutôt en réaction. Avec la QVCT, on va devoir se donner les moyens et les outils permettant de prévenir les risques.
Il y a la formation mais aussi de nombreux éléments comme par exemple, le DUERP, document unique d’évaluation des risques professionnels. C’est un document qui recense chaque année les accidents du travail, les maladies professionnelles, l’évaluation des risques, et en miroir les mesures d’accompagnement et de prévention de ces risques. L’objectif est celui du risque zéro.
Parmi les mesures qui ont été introduites pour réduire les risques professionnels, on peut citer « le passeport prévention » dont l’entrée en vigueur est fixée à la fin du troisième trimestre 2022. Ce passeport va suivre le salarié pendant tout son parcours professionnel. Il indiquera toutes les formations suivies relatives à la santé et à la sécurité au travail. Cela va permettre de ne pas lui faire refaire des formations déjà réalisées mais au contraire de les compléter et les inscrire dans le cadre d’un véritable cursus de prévention des risques professionnels.
Et qu’en est-il du harcèlement, dont la question semble sans cesse dominer l’actualité ?
Parmi tous les composants des risques psycho-sociaux, il y a tout ce qui touche au harcèlement sous toutes ses formes : le harcèlement sexuel, moral mais aussi le burn-out bien sûr et tous les éléments qui génèrent un stress anormal, avec des conséquences sur la santé. Les mesures qui existent aujourd’hui pour détecter, prévenir et faire cesser les situations de harcèlement sont la résultante d’une longue construction légale et jurisprudentielle qui se poursuit étape par étape depuis plus de 20 ans. Désignation obligatoire d’un référent harcèlement dans l’entreprise, l’obligation de mettre en place une enquête interne en cas d’allégations de harcèlement …
Rappelons que l’article L.1152-4 du code du travail prévoit expressément que « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ». Ainsi, l’employeur qui a mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ne manque pas à son obligation de sécurité.
Notons également l’extension de la définition du lanceur d’alerte, apportée par la loi du 22 mars 2022, applicable au 1er septembre 2022. Celui-ci peut désormais dénoncer toute violation d’une loi ou d’un règlement, même mineure, ainsi que des faits commis dans l’entreprise dont il n’a pas eu une connaissance personnelle mais qui lui ont été rapportés. Des faits concernant des agissements de harcèlements (moral et sexuel), mais également toute infraction (durée du travail, discrimination, …) pourront faire l’objet d’une alerte et permettre à l’auteur de cette alerte, sous certaines conditions, de bénéficier d’une protection élargie contre toute mesure de représailles (sanctions disciplinaires …).
Quelle est la place des partenaires sociaux dans cette évolution ?
La QVCT doit être abordée annuellement à l’occasion de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L2242-17 du code du travail).
Cela fait partie des thèmes de négociation obligatoires.
Certaines entreprises avaient déjà anticipé la nécessité de prendre en compte ces paramètres, notamment celles qui sont les plus exposées aux risques physiques et psycho-sociaux induits par le type d’activité, et celles (notamment dans l’industrie) où les cadences, l’utilisation de matériaux lourds ou dangereux pouvaient être particulièrement dangereux.
Les conditions de travail comportent aussi un volet RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises). Une entreprise qui se dit en pointe sur les mesures RSE communique sur les moyens qu’elle met en place afin de garantir de bonnes conditions de travail auprès de ses collaborateurs. Une entreprise dont le taux d’accident du travail est important, peut difficilement se revendiquer RSE, surtout si aucune mesure préventive n’est mise en œuvre.
Ce prisme s’est renforcé depuis quelques années. L’éthique est recherchée par les collaborateurs, notamment les jeunes, très sensibles aux valeurs de leur employeur et au sens donné au travail.
Sur le marché du travail, jeunes et moins jeunes veulent pouvoir se retrouver et adhérer aux valeurs de l’entreprise, c’est désormais un critère de choix déterminant. Il pèse sur l’image et le niveau d’attractivité de l’entreprise.
Les partenaires sociaux ont aussi un rôle important à jouer.
Par petites impulsions, ce sont eux qui mettent en avant certains dysfonctionnements, permettant ainsi une prise de conscience des risques et la mise en œuvre de mesures de prévention. Ils ont donc effectivement un rôle non négligeable qui permet de faire bouger les lignes quant à une meilleure prise en compte des conditions de travail.
Comment aborder le lien de causalité en entreprise ? est-ce une obligation de moyen ou de résultat ?
Rappelons que selon l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Dans ce cadre, l’employeur ne doit pas seulement diminuer les risques, mais doit tout mettre en œuvre pour éviter qu’ils ne surviennent et s’ils ne peuvent être évités, il conviendra de les évaluer pour prendre les mesures utiles de protection.
La responsabilité de l’employeur pour méconnaissance de son obligation spécifique de prévention des risques professionnels peut être recherchée en amont de toute atteinte à l’intégrité physique ou mentale du travailleur, comme en raison d’une telle atteinte lors de la survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
On peut, s’il est avéré que les moyens n’ont pas été ou ont été insuffisamment mis en place, reconnaitre un manquement aux obligations de sécurité de l’employeur.
C’est d’ailleurs un sujet pour les petites et moyennes entreprises. Les petites entreprises n’ont pas nécessairement la culture, la connaissance, les moyens juridiques pour se faire accompagner et plus simplement les moyens financiers pour mettre en place ce type de mesure. Cela coûte cher.
Certaines petites structures sont donc peut-être un peu en retard et restent encore persuadées que créer une bonne ambiance de travail est suffisant.
En pratique qu’est-ce que ça signifie demain pour l’entreprise, quels nouveaux outils au quotidien ?
Le télétravail fait partie de ces mesures que les entreprises ont été amenées à développer. On s’est aperçu que ce dispositif joue énormément sur le niveau de la qualité de vie au travail. Une ou deux journées de télétravail permet par exemple d’éviter de prendre les transports, un gain de temps, de fatigue évitée et aussi un gain matériel, financier. Cela représente beaucoup d’avantages et de confort pour les salariés et cet aspect qualité de vie se matérialise dans les chartes et les accords télétravail que l’on peut mettre en place aujourd’hui. Mais il doit aussi être encadré pour éviter certaines dérives : juste équilibre entre droit à connexion et à la déconnexion, porosité entre vie personnelle et professionnelle, la difficile mesure du décompte du temps de travail … font partie des nouveaux sujets qu’il est nécessaire d’encadrer dans le respect des droits individuels inaliénables.
La digitalisation de certaines tâches peut également impacter la QVCT.
La digitalisation permet dans certains cas d’éviter des tâches répétitives et contraignantes et de libérer du temps pour des fonctions plus épanouissantes.
D’autres pistes sont également à l’étude comme la réduction du nombre de jours travaillés avec la semaine de 4 jours. Evidemment toutes les entreprises ne peuvent pas le proposer pour des raisons pratiques : ouverture au public, fabrication, production, mais pour celles qui le peuvent, elles réfléchissent sérieusement à cette option.
Cela fait partie des mesures QVCT débattues avec les partenaires sociaux qui permettent aussi de générer une certaine attractivité et une fidélisation des collaborateurs.
On le voit, la prise en compte du bien-être et de la santé des collaborateurs est au cœur de la QVCT.
Le droit social est évolutif et s’adapte à notre société, la transition de la QVT vers la QVCT s’inscrit parfaitement dans le cadre la Transition Sociale.
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