Violaine Gelly est psycho-praticienne. Elle nous livre ses observations sur l’évolution des liens entre les salariés et leur travail deux ans après le début des vagues de Covid.
Quel regard portez-vous concernant les effets du Covid sur vos patients ?
Une grande majorité des patients qui viennent me voir ont beaucoup évolué depuis l’apparition du Covid et les confinements successifs. Le confinement a été pour beaucoup une parenthèse, une pause dans leur vie qu’il ont pu parfois transformer en opportunité, après avoir pu prendre un peu de recul, notamment lors du deuxième confinement moins difficile, les enfants étant à nouveau à l’école.
Leur rapport au travail, notamment, a changé. Durant deux années, l’organisation matérielle et managériale a été bouleversée. Il y a eu une sorte d’arrêt sur image. La pause a laissé des traces, parfois indélébiles. Après une mise à distance imposée, est venu le temps de la mise à distance choisie.
La plupart avait l’obligation de se rendre chaque jour sur un lieu de travail. Lorsque le Covid est arrivé, les mesures de confinement prises ont modifié ce quotidien. Le lieu de travail et le lieu de résidence se sont unifiés. Le travail, les tâches à accomplir n’ont plus été conditionnées au déplacement physique. Dans le même temps les interactions physiques ont été suspendues, sans pour autant briser certaines habitudes.
Qu’avez-vous observé ?
La majeure partie de mes patients ne souhaitaient pas retourner au bureau. Ils voulaient continuer à travailler selon les nouvelles habitudes qu’ils avaient mises en place de manière collective.
Après le confinement certains sont retournés à leurs habitudes antérieures, d’autres ont continué en télétravail, et d’autres ont pris la résolution de quitter les gros centres urbains et se sont rapprochés de provinces plus calmes.
Pour quelles raisons selon vous ?
Je dirais, en partie, à cause de leurs conditions de vie. En milieu urbain, le transport est une des causes majeures de stress et de fatigue. Souvent long, multimodal, incertain, il cumule à lui seul de nombreux inconvénients, sans même prendre en compte l’inconfort ressenti aux heures de pointe avec des transports bondés. C’est aussi parce qu’ils ont ressenti, lors du changement de mode, un certain bien-être, la liberté de s’organiser et une responsabilité retrouvée.
On pourrait dire que leur nouveau bien-être est soutenu par le trépied : « liberté, sécurité et responsabilité »
Est-ce que ce constat concernait tous vos patients ?
Non bien sûr. Les célibataires sans enfants et les familles n’ont pas réagi de la même manière.
Les célibataires sans enfants avaient parfois le sentiment que le travail prenait toute la place dans leur vie. Le fait d’être en permanence dans un lieu unique leur a permis de réaliser qu’ils ne savaient pas fixer, eux-mêmes, les limites à cette invasion. Pour la première fois, ils se trouvaient confronté au constat de la place qu’ils laissaient au travail au détriment d’autres activités. Ils travaillaient souvent plus, plus longtemps et certains ont même pu ressentir un certain épuisement dans ces journées parfois sans borne d’arrivée, de coupure, de départ. On peut même dire que cela a été un choc salutaire pour certains d’entre eux.
Le contact avec leurs collègues et amis ne leurs manquaient pas ?
Curieusement, non. En réalité, le lien personnel qu’ils pouvaient entretenir dans le cadre de leurs fonctions a continué à exister et a évolué. Ils ont souvent réussi à garder les liens, la convivialité grâce aux messageries, mais aussi les réseaux sociaux sur lesquels ils sont actifs. Skype ou d’autres moyens ont pris le relais. Certains de mes patients ont même parfois laissé leur Skype ouvert durant toute leur journée de travail, une présence à distance réelle, rassurante.
De cette manière, ils n’ont pas nécessairement ressenti une rupture et cela n’a pas abîmé les liens.
Bien évidemment les relations à distance sont plus faciles à garder qu’à construire.
Ceux qui ont dû intégrer une équipe qu’ils ne connaissaient pas ont eu plus de mal à tisser ces liens.
Une pause bénéfique pour certains patients ?
Oui parce que le travail est parfois une grande cause de souffrance et de dépression.
Des raisons multifactorielles, perturbent l’équilibre des individus : trop de pression, un travail qui manque d’intérêt, un décalage entre le travail et l’image qu’on s’en fait et souvent l’incapacité à satisfaire les divers dictats.
Souvent ce sont les travailleurs eux-mêmes qui se fixent inconsciemment des exigences beaucoup trop fortes, le besoin d’en faire toujours plus pour être satisfaits, reconnus, appréciés.
Par ailleurs, le travail en présentiel, c’est aussi le travail sous le regard des autres. Il y a le travail en lui-même, le rendu obtenu et l’image que les autres en ont.
Certains de mes patients ont ressenti une grande libération avec le travail à distance. La constante du regard extérieur, la posture du présentiel et toutes les contraintes qui en découlent ont disparu momentanément pour leur plus grand plaisir.
Une pause sous forme de recul conscient ?
Pour certains, le confinement a permis de prendre un peu de recul par rapport aux tâches, aux conditions d’exercice et aux évènements chronophages sans aucune utilité. Ils ont aussi réalisé que beaucoup de contraintes auxquelles ils se soumettaient ne correspondaient pas du tout à ce qu’ils désiraient.
La mise à distance, le fait de travailler de manière différente, leur a permis de s’interroger sur le sens du travail et le sens de leur vie.
Est-ce que la taille de l’habitat a toujours été un point négatif ?
Curieusement, non, pas de manière systématique. Il est vrai que dans certains cas le confinement a montré les limites de la cohabitation et du partage des tâches. Un manque d’espace pour soi avec l’envahissement des enfants et du conjoint.
On a dit souvent que les personnes confinées dans des lieux assez petits avaient particulièrement souffert. Or, l’expérience va parfois à l’encontre de ces idées reçues. Une de mes patientes en fin d’étude s’est retrouvée seule dans sa chambre de bonne. J’étais particulièrement inquiète pour elle. Or son confinement s’est très bien passé. Il lui a permis, en dépit de l’exiguïté de son espace, de se prendre en main et de prendre le temps de s’occuper d’elle. Elle n’avait plus aucune contrainte et la taille du lieu n’a pas joué. Elle s’est sentie en sécurité et internet a joué le rôle de porte vers l’extérieur sans aucun désavantage.
Quelles conclusions personnelles en avez-vous tiré
En tant que psy, j’ai reconsidéré un certain nombre de croyances liées au travail en Visio avec les patients. J’ai constaté que mon travail n’était nullement entravé par les distances et que la présence physique n’était pas toujours obligatoire. La période nous a appris à utiliser d’autres modes de fonctionnement.
Plus généralement, je pense que le Covid nous a permis de réintroduire une réflexion sur les contraintes liées au travail. Les évolutions sont notables. Depuis la reprise, le télétravail se développe massivement et c’est une rupture pérenne, probablement un apport positif dans le cadre du difficile équilibre individuel et collectif.
Patricia Capelle
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