Débats et échanges autour du thème : « Le travail, peines et joies humaines. » avec la contribution d’ Emmanuel Dockes, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre et animateur Precis Dalloz, de Xavier Lagarde, professeur de droit à avocat au barreau de Paris et le docteur Patrick Légeron, psychiatre et fondateur du Cabinet Stimulus, organisme spécialisé dans le comportement des travailleurs et des fournisseurs de travail. Débat animé par Michel Rouger, président de l’Institut Présaje.
Qu’est ce que le travail ?
Michel Rouger : Le mot travail vient du latin « tripalium« , c’est à dire le triple pieu, est défini comme une machine à assujettir les animaux qui sont « méchants ». En changeant le mot « animaux » par le mot « patron », nous retrouvons les éléments du code du travail et les trois pieux :
- les règles à l’embauche,
- les règles à l’exécution du contrat de travail et
- les règles de licenciement.
La définition du travailleur est en général immuable : une personne qui AIME son travail. D’un coté, la menace de la torture pour les uns et de l’autre coté, le bonheur de travailler pour les autres.
Il faut remarquer qu’au départ, le travail est « qualifié » comme quelque chose qui génère de la souffrance et l’extension du terme va finir par faire que ce mot définisse toutes les activités. Ensuite, sur les trois pieux du Code du Travail, il faut bien comprendre que le « code du travail » n’est pas le « travail ». Le code, est l’ensemble des réglementations inhérents au travail.
Quel est l’utilité de la réglementation sur le travail ?
Emmanuel Dockes : Il s’agit, si on reprend votre formule initiale, de contraindre des « animaux méchants » qui seraient les employeurs. Je pense que vous faites fausse route; et pour plusieurs raisons. il n’y a pas de « gentils » vs « méchants ».
Dans notre société actuelle, il n’y a pas ces « classifications », mais il est tout à fait normal que chacun dans une certaine mesure poursuive ces intérêts. C’est considéré comme « non » choquant. Dès lors, si vous avez une négociation, entre 2 personnes et que chacun essaye de « tirer un peu la couverture à lui », c’est tout à fait normal. Et si un, est en position de force et qui tire toute la couverture à lui et qui laisse l’autre bien démuni, alors là, le « code du travail » intervient pour rétablir un certain équilibre dans la négociation. Dès lors, on voit bien l’utilité du code du travail, il ne s’agit pas d’enchainer un animal méchant, il s’agit que lors qu’un être humain poursuit ses intérêts, ce qui est parfaitement son droit et qu’il est en position force, d’éviter qu’il en prenne trop. L’objectif étant de définir un équilibre qui puisse être maintenu à travers des règles, qui limitent le pouvoir et la domination de l’employeur.
Que vient faire l’individualisation dans le travail ?
Xavier Lagarde : Si on regarde la période moderne, le travail est marqué du saut de l’ambivalence. Nous avons toujours le travail comme facteur d’émancipation et le travail comme source d’aliénation. Les deux vont de paires, même si on se remet au début du 19ème siècle : le code civil triomphant, le droit du travail n’existant pas, les débuts de l’industrialisation et les dérives que l’on connait sur le début du capitalisme : on a la version de l’enfant de six ans travaillant quatorz heures par jour, exemple ou archétype du travail comme facteur d’aliénation. Et l’on a en même temps, d’ores et déjà, l’idée que le mineur peut être émancipé s’il travail. Le travail peut être vu comme un vecteur d’émancipation.
Ce double visage du travail, est présent dès le début de la période moderne. Si on ajoute à cela, dans le droit fil de la pensée « marxsiste« , on considère que malgré tout, le travail, doit être un facteur d’émancipation, et que ce qu’il faut faire, c’est faire en sorte que les conditions matériels du travail permettent à chacun de s’émanciper par le travail.
Si on regarde l’histoire et la construction du droit et du code du travail, c’est au fond de faire en sorte que par la réglementation, on donne à chaque salarié, les moyens matériels, de faire en sorte que le travail, soit le moyen de vivre convenablement en société. Cela se passe par une réglementation du temps de travail, par une réglementation de la rémunération et par tout un système de filet de protection sociale qui fait que quand le travail s’arrête on peut continuer à vivre. Au fond, nous somme arrivés au bout de ce cycle, ce qui ne veut pas dire qu’il fasse faire machine arrière, mais nous sommes arrivés à une période ou de fait, les filets de protection sont là, et on peut arriver dans une situation où même en vivant mal, on peut arriver à vivre sans travail. Ce qui change considérablement la rapport au travail. Ce dernier n’est plus perçu, par les uns et les autres, comme une absolue nécessité individuelle : « si je ne travaille pas, je ne vis pas » ! et bien non ! : « si on travaille pas » on peut vivre, mais on vit « mal » mais on peut vivre quand même. Il a des aides aux logements, minimas sociaux, etc. On peut donc à peu près se maintenir. Du coup, si on travaille, il faut y trouver son compte et son intérêt. Il y a l’émergence d’une vraie revendication pour que le travail soit un vrai facteur émancipation, qu’on y trouve son compte, que cela soit humainement et financièrement intéressants.
Inquiétude selon quoi le travail, serait quelque chose selon quoi on aurait un peu moins d’appétence, moins de gout d’avant, ne me semble un peu discutable.
Patrick Légeron : Il faut comprendre qu’il y a quelque chose d’essentiel dans l’être humain de vouloir exister, de vouloir avoir de l’influence. C’est une pulsion centrale. Ce n’est pas simplement gagner un peu d’argent pour vivre, il s’agit d’exister aussi dans ce monde. Ce qui fait que l’on peut avoir un chômeur qui, même bien indemnisé, pourrait être en situation de grande souffrance. Donc, dire que les personnes ne recherchent pas de travail, quand on voit cet appétence pour le travail qui caractérise notre société, c’est inexact.
Quand on regarde la perception qu’on les gens du travail, ce n’est pas la nécessité de travailler, ni une obligation mais c’est vécu de plus en plus comme un droit ! Un droit revendiqué. Le droit au travail est positionné selon plusieurs enquêtes d’opinions comme un des droits fondamentaux des individus comme le droit à la santé, qui sont des droits reconnus comme des droits universels pour un homme. D’où toute la problématique des personnes qui n’ont pas accès au travail, tels les chômeurs qui essayent de trouver du travail, nous ne leur garantissons pas l’accès au travail.
Y a une ambivalence forte vis à vis du travail. Ce dernier est non seulement vécu comme un droit, comme une revendication forte en terme épanouissement, de réalisation de soi, au delà de fournir les besoins essentiels (cf la pyramide de mashlow des besoins de l’homme), mais en même temps, depuis quelques décennie, le travail représente un des éléments de la vie de l’individu mais pas le seul, aujourd’hui il a apparait comme quelque chose que les gens revendiquent, qu’ils veulent, qu’ils exigent autant quantitativement que qualitativement, mais sans que le travail pèse sur les autres éléments de vie, comme la vie personnelle, familiale, sociale et les jeunes générations ont beaucoup transformés cette vision du travail.
Nous avons beaucoup pensé que les jeunes génération avait « perdu » la valeur « travail » mais ils la placent au bon endroit. Et les anciens, quand ils voient des jeunes arrivés et que dans leurs premières questions c’est demander leur RTT, gérer les enfants … alors que ces anciens avaient tous « sacrifiés » au début de leur activité professionnelle au point même après d’avoir une hausse des séparations voir divorces – mode fiasco de vie personnelle – maintenant ils revendiquent ces choix. Ce n’est pas parce que que le travail est devenu une valeur secondaire, mais c’est une des valeurs parmi les autres. Cela doit être bon signe, qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de valeurs dans le monde et pas que celles du travail.
Si on prend une métaphore avec le finance, c’est comme si on mettait tout son argent sur la mêmes actions, sur la même valeur. On va diversifier ses placements.
Va t on vers un « travail décent » ?
Emmanuel Dockes : Il y a un concept clef : le travail décent. Il est une notion plus exigeante que l’emploi que l’on demande à un chômeur d’exercer au bout d’un certain temps de chômage.
Ce travail décent, est souvent mal compris, car on s’imagine que ce n’est qu’un niveau de rémunération. Nous somme en plein dans les problématiques de la souffrance, du fait que le travail n’est plus source d’épanouissement mais au contraire de contraintes, qu’on a qu’une seule hâte : c’est de le quitter, de refuser que l’âge de la retraite soit repoussée parce que ce travail deviendrait « pénible » – on parle de pénibilité au travail – et dans lequel il y a beaucoup de questions qui se pose.
Les entreprises, n’abordent la problématique du contrat de travail, principalement sur les aspects contractuels, largement accès sur le financier, mais tous les aspects sur la reconnaissance, la réalisation de soi ne sont pas présents dans le code du travail. Alors que ce sont des éléments qui font que le travail est vécu comme décent ou non décent, supportable ou non supportable. Ce sont des éléments qui dépassent la notion la plus « simpliste » du travail décent.
Édition Prémices
Trouvez ici la partie 2 de ce débat : « Le travail, peines et joies humaines »
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