Il a fallu que le débat ouvert, en grand, sur les confusions entre la vie publique et la vie privée tombe en dessous de la ceinture pour intéresser l’opinion. Pas longtemps heureusement.
Ces conflits d’intérêts, nés des dérives de l’État nuisent à la vie publique depuis trente ans, au seul profit des intérêts privés qui ont accès aux ressources de l’administration. J’y reviendrais.
En cet hiver 2019-2020, plusieurs tempêtes médiatiques et judiciaires ont détruit quelques bastions installés ou en cours d’installation.
Le printemps arrive qui verra les juges judiciaires, mal aimés des politiques, autant qu’indispensables à la République, sanctionner les vices qui conduisent des élus à profiter du bien commun.
Et les médecins, tout aussi mal traités par les choix politiques, afficher leurs dévouements et vertus de leurs engagements auprès des citoyens menacés par une épidémie planétaire.
C’est le retour de la conscience Républicaine.
Les réflexions livrées dans ce propos reposent sur une conviction, forgée en près d’un siècle d’observations vécues, au quotidien.
La conviction
Dès la fin des années 1990, j’ai acquis la conviction que la cinquième République était condamnée à disparaître par la pratique des vices qui affectaient la politique, sans voir comment elle périrait. Ça s’éclaire.
Les institutions, politiques et économiques, mises en place pour permettre au pays d’abandonner son Empire colonial, et de construire une communauté Européenne, avaient été établies en deux fois, 1958 et 1962, à la mesure d’un homme d’exception.
Après qu’il ait démissionné, en 1969, ses successeurs ont estimé que ces institutions feraient d’eux, à leur tour, des hommes d’exception. Ils les ont conservées, malgré la volonté des électeurs qui ont systématiquement rejeté les sortants, à nouveau candidats au pouvoir exécutif.
Qu’il s’agisse de l’Élysée ou de Matignon, les électeurs les ont dégagés huit fois sur dix. Ils ont été épargnés en 2002 et 2007, par à la suite de la modification constitutionnelle qui a raccourci les mandats à cinq ans. Mais après ces deux expériences, le dégagisme s’est imposé en 2012 et en 2017.
Enfin, le développement de la société du spectacle, des écrans individuels, a parachevé la transformation de la société française, dorénavant soumise au césarisme de l’État- vedette qui a remplacé l’État de droit, la Loi et la responsabilité personnelle.
Depuis dix-huit mois, la cinquième République, fâchée avec la majorité du peuple risque d’aller rejoindre les précédents régimes républicains créés et disparus au cours des deux siècles précédents.
Pour tenter de faire entendre une voix républicaine dans le débat convulsif en cours, j’ai entrepris le récit des agonies et des obsèques de ces régimes.
Cet essai paraîtra au cours du printemps, après l’actuelle consultation municipale. Il intégrera les conséquences du coup de balai de 2017, en prévision du coup de torchon qui pourrait suivre.
La conscience républicaine
La conscience républicaine repose sur le Droit dont chacun limite l’exercice de sa jouissance personnelle afin de permettre celle à laquelle l’autre a droit. Elle impose la responsabilité pour éviter de lui nuire. Sans la responsabilité et le respect du droit, la liberté du citoyen, garantie par l’État de droit, n’existe plus.
Cette altération de la conscience du vivre ensemble est attribuable à trois phénomènes.
La primauté du plaisir individuel. Le dévoiement de la transparence démocratique. La pratique de l’arrogance technocratique. Je les passe en revue.
La Primauté du plaisir individuel
La satisfaction du plaisir individuel, a été exacerbée par la société de consommation. Ceux qui en ont dénoncé les travers, il y a cinquante ans, ont créé une société du spectacle qui domine tout grâce aux écrans qui dévorent leurs utilisateurs.
Cet affichage des vices de la vie privée, associés à ceux de la vie publique, a utilisé les images de deux frères en exhibitions. Benjamin le Parisien et Piotr le Russe. Ça ne vaut pas le tintamarre de l’actualité qui s’est emballée.
Mais les débats ouverts devant l’opinion, comme devant plusieurs tribunaux, montrent à que point la conscience républicaine a dépéri en France.
La transparence démocratique
Depuis l’installation du premier régime républicain par les révolutionnaires, la question est posée de la protection de la vie privée des citoyen(ne)s qui s’engagent dans la vie publique. La liste des victimes mortes au champ de déshonneur, de 1793 à nos jours, est suffisante pour mériter un débat.
Ce débat s’est tenu dans les années 1990 au sein du barreau de Paris au palais de justice.
Il a opposé, d’une part, la conscience républicaine, la tendance au secret qu’elle manifeste dans la crainte des pulsions régicides évoquées ci-dessous, et d’autre part, la transparence démocratique et le besoin de compte rendus, d’investigations et de révélations.
Le défenseur de la transparence démocratique et de l’investigation révélatrice a évoqué son projet impliquant les médias de la presse écrite et audiovisuelle, C’était vingt ans avant les GAFAM.
J’ai transporté les animateurs et les arguments, sous différentes formes, dans les manifestations annuelles des célèbres « Entretiens de Saintes » du monde judiciaire. Plusieurs ouvrages sont encore disponibles (Éditions PRÉMICES) sur ces sujets de fond.
Je considérais que le poids de l’argent investi dans les médias d’opinion et le choc des images de la politique spectacle offraient à la sphère politique les moyens de dominer la conscience républicaine. Ce qu’il fallait soumettre au débat national.
Ce fut fait, hélas sans suite en raison du changement brutal d’époque entraîné, dans le monde entier, par la répartition des activités économiques mondiales (2002) selon un nouveau partage géopolitique, la digitalisation (2006) des échanges et des médias, la dollarisation toxique (2009) des circuits financiers.
Aujourd’hui, en France, la conscience républicaine s’exprime par les institutions de la démocratie représentative construite sur le suffrage périodique.
La transparence démocratique de la vie politique, à laquelle je reste attaché, s’exprime par les entreprises de la démocratie directe, mises en place par les médias internes, les organismes de sondages permanents et les médias communautaires ouverts par les GAFAM.
L’opinion, est fâchée avec la manière de faire la politique, pas avec la République. Elle dénonce les pratiques de la démocratie parlementaire, le clientélisme, le goût des cachotteries, les prébendes et les bagarres de chiffonniers qui tiennent lieu de débats.
Le Monarque qui règne et son administration qui gouverne, passent trop de temps à réformer la vie des Français, pas assez à réformer les institutions qui permettent de leur imposer le mode de vie conçu par les « élites ». Ils ont raté le rendez-vous avec le Peuple du XXIème siècle.
L’Arrogance technocratique
Cette arrogance ne détruit pas nécessairement la conscience républicaine. Elle sait l’utiliser astucieusement à son profit. C’est l’arrogance passive qui écarte le Droit et la Responsabilité, les deux fondements de la Liberté. Les directives communautaires y servent d’idiotes utiles.
L’arrogance active, aux effets insupportables, est née de la liaison entre une administration hyper centralisée, auto gérée, et une école qui donne envie aux plus ambitieux de ses diplômés d’imposer leur science technocratique en passant par la politique.
Ils ont réussi à se partager le pouvoir suprême dans les partis politiques, à Matignon et à l’Élysée.
Je précise, que, bien qu’averti par un ancien Président, qu’il avait reçu un enseignement marxiste à l’ÉNA, je suis convaincu, sur pièces, que la grande majorité de ses élèves servent bien leur pays.
Je me suis même amusé à dire, quand j’allais déjeuner au sein du Saint des Saints, la Salle à manger des directeurs à Bercy, que j’avais créé une association des non diplômés amis de l’ÉNA, mais que je n’avais pas trouvé de trésorier.
Les convictions attachées à cette fonction de domination technique et administrative conduisent vers cette arrogance technocratique que le peuple ne pourra jamais supporter.
Le seul président, encore vivant, qui n’est pas sorti de l’ÉNA, l’a dit. La France est monarchique et régicide. Si besoin, elle saurait se dégager, 2064 ans après un autre 15 mars, de notre forme de césarisme héréditaire à base scolaire.
Pour conclure, il faut se féliciter que les citoyennes s’engagent, comme le révèle l’élection parisienne. Comme les Juges et les Médecins qui remettent leurs pouvoirs et leurs devoirs au centre du jeu, ils et elles ont leur propre conscience républicaine.
Le plus dur reste à faire dans les deux ans qui viennent.
Faire vivre ce retour d’affection pour la République et ses vertus pour que l’hirondelle de ce printemps ne soit pas chassée par les braconniers.
A suivre !
Michel ROUGER
Président de l’Institut Présaje
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