Le durcissement progressif du langage politique dans l’espace public interpelle sur l’équilibre entre mots et actes, dans le cadre d’une fracture grandissante entre idéologies.
Hasard de l’histoire et du calendrier, les élections européennes et législatives françaises ont été, du moins au sein de l’espace médiatique, obnubilées par la question du conflit israélo-palestinien. Entre une extrême droite qui, à rebours de sa tradition politique et historique, tente de se placer en défenseurs d’un judaïsme israélien et plus particulièrement français, et une extrême gauche qui assimile parfois sionisme d’expansion et religion, le débat politique au-delà d’une certaine incongruité, a surtout été marqué par une escalade dans la violence verbale.
En parallèle d’une désacralisation de la parole politique dans l’espace public qui semble aujourd’hui peu ou prou actée, aussi bien en réaction au développement de nouveaux canaux de communication en continu qu’en réponse à une transformation des attentes du public, les attaques directes semblent se démultiplier, d’un camp à l’autre. Là où pouvait régner, dans l’espace public du moins, la tyrannie du bon mot, qui savait remettre a sa place un adversaire sans s’abaisser à l’insulter, les critiques ou insultes plus directes, ad hominem, apparaissent avoir pris l’ascendant. Raciste, antisémite, con, crétin, imbécile, vendu, les termes sont sortis du café pour rejoindre l’espace public. Du « Ta gueule » de Gérard Larcher au « Cass toi pov con » de Nicolas Sarkozy en passant par le « J’emmerde les non-vaccinés » d’Emmanuel Macron ou encore le « Assassin » d’Aurélien Saintoul à l’égard d’Olivier Dussopt plus récemment. L’insulte n’est cependant pas la seule dimension même si elle capte les regards.
Plus significatif est peut-être, via notamment les réseaux sociaux et X en particulier, la normalisation de l’utilisation de qualificatifs péjoratifs qui hier, rappelons que le dernier duel d’honneur entre députés date de 1967, aurait pu être considérés surprenants. Reflet d’une transformation du débat et de l’évolution des habitudes de la langue, cette normalisation d’une forme symbolique de violence, comme la normalisation de l’insulte, pose également la question de l’interdit. La vulgarité, l’insulte existent dans le paysage linguistique pour marquer un extra-ordinaire, une réponse à un stimuli extérieur ressenti comme particulièrement important, à l’image de la douleur ou d’un sentiment fort. En normalisant le recours à cette langue la question de l’effet cathartique de la grossièreté, et du marqueur extra-ordinaire, est remise en cause. Une fois cet outil perdu l’interrogation sur le lien entre violence symbolique et violence réelle devient plus évidente. Sans tomber dans la comparaison qui serait elle grossière avec la normalisation de la discrimination, notamment dans le langage et les caricatures caractéristiques de la montée des idéologies antisémites au début du XXe siècle, le renforcement de la fracture idéologique et l’affaiblissement voire la disparition des partis qu’on pourrait appeler de « centres de gouvernement » justifie d’une certaine crainte. Durant les élections législatives ce sont les responsables de la police et de la gendarmerie qui ont exprimé leur crainte de l’embrasement, mais ce mouvement d’inquiétude pourrait s’étendre à d’autres moments clivants selon les résultats de celle-ci et les rebondissements de l’actualité nationale et internationale.
Dernier symbole, peut-être également le plus évident, celui du nom choisi par le cercle de penseurs, chercheurs et économistes qui conseille la direction du Rassemblement National : les Horaces. Immortalisés dans leur serment par Jacques-Louis David en 1785, ces 3 frères romains auraient selon la légende sauvé Rome en acceptant un combat de représentants avec les Curiaces, qui eux portaient les couleurs d’Albe. Vainqueur malgré la perte de ses frères, le dernier Horace voyant sa sœur pleurer son fiancé Curiace l’aurait percée en plein cœur lors de son retour à Rome, symbole d’un attachement patriotique qui ne souffre d’aucune nuance pour ceux considérés comme ennemis. Choix intéressant que ce nom qui encapsule une vision particulière de la politique, nourrie de succès, de violence, mais aussi d’un fanatisme assumé. A l’image des frères ennemis, si chacun devient Horace en sa demeure, que restera-t-il des Curiaces que sont … tous les autres ?
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